Article proposé par Exponaute
Qui étiez-vous, Bernard Buffet ? Artiste omniprésent, ami des plus grands esprits de son époque, peintre torturé, iconoclaste volontairement déroutant ? Il n’y a probablement pas qu’une seule bonne réponse à toutes ces questions… Buffet est inclassable, son art est difficilement descriptible et il l’a toujours revendiqué au cours de sa carrière. Et quelle carrière ! Jeune artiste, il se place sous les bons auspices de Gustave Courbet et Jean-Siméon Chardin, tandis que tout son temps libre est passé dans les couloirs du Louvre, à admirer les grands maîtres du passé. Si son style est inclassable mais surtout très personnel, cette admiration des artistes des siècles précédents se retrouvera dans certaines salles de l’exposition.
Ses scènes de corrida ou sa critique acerbe de la guerre renvoient à Francisco de Goya tandis qu’un magnifique Bœuf Écorché est, évidemment, un hommage à Rembrandt van Rijn. Mais ce style noueux, raide, abrupte, on le retrouve immédiatement, dès les premières œuvres du parcours du Musée d’Art Moderne qui a été conçu selon un ordre aussi bien chronologique que thématique.
Car parmi ces œuvres sombres, sans perspective ni profondeur, entre ces coups de traits droits et francs, on dénote des références nombreuses, une connaissance encyclopédique du monde culturel et une curiosité sans borne pour les Arts et les Lettres.
Face à l’immense toile La ravaudeuse de filets, nous ne sommes pas simplement face à une modeste femme du peuple attelée à une tâche aussi fastidieuse que pénible. Est-ce bien là une figure féminine, ou une allégorie, une représentation d’Arachné, personnage tragique de la mythologie grecque ? Le filet est-il bien un outil destiné à la pêche, ou ne serait-ce pas là plutôt une gigantesque toile en train d’être minutieusement réparée et consolidée par sa tisseuse, avide de prendre une malheureuse proie dans ses rets ?
Quelques pas plus loin et nous nous retrouvons face à face avec un portrait aux tons sourds, faits de brun terreux et d’ocre d’une froideur à vous glacer le sang. L’homme au visage effilé qui nous fait face nous exclut de l’œuvre, intitulée Le Buveur. Son regard d’un noir profond, abyssal, semble perdu dans le vague. Nul accueil de la part de ce personnage esseulé, seulement un profond abattement. L’esprit de l’homme au teint de cire est-il embrumé par le chagrin, ou l’alcool qu’il vient de consommer ? Car le liquide contenu dans le verre est de l’absinthe, cette perfide fée verte déjà représentée par Picasso et Degas…
En fin de parcours, on retiendra une étape monumentale et frappante par la virtuosité de ses compositions : la salle dédiée aux représentations par Bernard Buffet de La Divine Comédie de Dante Alighieri ou, plus précisément, de la première étape de l’œuvre du légendaire poète italien : l’Enfer. C’est sans surprise que Buffet a choisi d’apporter une attention particulière à un des chants de l’œuvre médiévale qui a été représentée, avant lui, par de nombreux artistes (on pense à William Blake bien sûr, mais également à Gustave Doré) : les damnés pris dans la glace.
Les âmes jettent des regards furieux et animés d’une haine féroce à Dante et Virgile qui détaillent ce triste spectacle tandis que des têtes s’entredévorent impitoyablement. La violence de la scène est bouleversante, renforcée par une composition réalisée dans des teintes majoritairement froides qui contribuent à nous glacer le sang.
Produire une description du parcours du MAM dans son entièreté est impossible. Le parcours est trop riche, trop foisonnant, pas moins d’une centaine d’œuvre ont été réunies pour l’occasion, certaines tirées de la collection personnelle de Pierre Bergé, qui partagea la vie de Bernard Buffet entre 1950 et 1958. Entre les toiles autobiographiques, les obsessions de l’artiste pour les natures mortes figées et envoûtantes, le parcours muséographique comporte tout un ensemble de documents iconographiques.
Photographies d’époque, diffusion de reportages télévisés et d’interviews, expositions de magazines et de catalogues vieux de trente ou quarante ans (où l’on découvre que Buffet a tiré le portrait à des personnalités aussi antagonistes que le Général De Gaulle ou Mao Zedong) complètent une exposition déjà incroyablement riche dans laquelle on aime se perdre et se reperdre. On navigue de compositions christiques d’un gris de plomb à des explosions de couleurs suites à un voyage de l’artiste au Japon, en passant par ses représentations monumentales du chef-d’œuvre de Jules Verne : Vingt mille lieues sous les mers. Il est temps donc, à votre tour, d’aller vous perdre dans le labyrinthe hachuré, droit, tranchant de Bernard Buffet.
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