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La mort de Léonard de Vinci : quand Ingres réécrit l’Histoire

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Le 29 août 1780, il y a exactement 236 ans, naissait le grand peintre néo-classique Jean-Auguste-Dominique Ingres. Élève dans l’atelier de Jacques-Louis David, influencé par Raphaël et le Quattrocento, Ingres est passé à la postérité pour ses portraits de l’Empereur Napoléon Ier mais également pour ses toiles comme Le Bain Turc ou La Grande Odalisque, qui chantent un Orient rêvé et fantasmé à l’aube du XIXe siècle. À l’occasion de l’anniversaire de la naissance de cet immense artiste, mettons un coup de projecteur sur une de ses toiles les plus célèbres qui, nous allons le voir, prend quelques libertés avec la véracité historique… !
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Ingres, La mort de Léonard de Vinci, 1819 © Petit Palais

Lorsque Jean-Auguste-Dominique Ingres peint la toile La mort de Léonard de Vinci (qui porte également le nom de François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci), l’artiste se trouvait en Italie, en tant que pensionnaire de l’Académie de France (il y restera d’ailleurs jusqu’en 1824). En effet, peintre déjà accompli et passé par l’atelier prestigieux de Jacques-Louis David, Ingres était cependant refroidi par l’accueil plutôt réservé que la France offrait à ses œuvres italiennes.

L’artiste décide donc de demeurer à Rome où il jouit d’une certaine notoriété et exécute des portraits et  des commandes à caractère historique pour une clientèle privée fortunée. Dans le cas du tableau qui nous occupe, celui-ci est issu d’une commande passée par Pierre Louis Jean Casimir de Blacas d’Aulps, ambassadeur du roi de France Louis XVIII à Rome ; une personnalité très influente pendant la période de la Restauration.

La mort de Léonard de Vinci s’inscrit dans la pure tradition de la peinture néo-classique, et représente une scène sortie de l’imaginaire du grand artiste. Celui-ci avait en effet interrompu ses études très jeune et plutôt que de s’appuyer sur ses connaissances historiques parcellaires, il préférait faire appel à sa fantaisie qu’il allait ensuite teinter d’éléments issu de son exceptionnelle mémoire visuelle. C’est ainsi qu’en puisant dans ses seuls souvenirs, il parvint à représenter les personnages de Léonard de Vinci et du roi de France François Ier.

Portrait d'Ingres par lui-même, à l'âge de vingt-quatre ans (1804), Huile sur toile, 77 × 64 cm, Chantilly, musée Condé1.

Ingres, Autoportrait, 1804 © Musée Condé – Chantilly

La petite histoire

Car au Louvre, institution très fréquentée par Ingres, des œuvres d’art représentent les deux principaux protagonistes de la scène ici dépeinte. Aujourd’hui, les historiens de l’Art estiment que le visage du monarque serait directement inspiré du portrait de ce dernier peint par Le Titien en 1538. Dans une composition très chaleureuse, aux tons rouges et orangés, Ingres a décidé d’inclure des éléments aussi bien pittoresques que romantiques. Les personnages sur la droite de la toile, observant la scène ou la désignant des mains, ont des postures très théâtrales tandis que Léonard de Vinci et François Ier révèlent les influences Romantiques d’une grande émotion.

Le grand peintre de la Renaissance au visage affichant la pâleur de la mort et dont la torsion du cou exagérée est typique de la « patte » Ingres, a les yeux mi-clos et déjà, ne semble plus contempler le monde réel. François Ier, dans une attitude de dévotion complète, presque filiale, se penche vers l’artiste qu’il tient affectueusement dans ses bras. L’anecdote, belle et édifiante, n’en est pas moins erronée.

Emporté par la maladie, l’esprit universel de la Renaissance italienne meurt au château du Clos-Lucé, à l’âge de 67 ans, le 2 mai 1519. Et peu de temps après la disparition de l’artiste, les rouages de la légende se mettent en branle. Giorgio Vasari, dans une édition de ses Vies datant de 1550, rapporte une épitaphe en latin (mais qui n’a jamais été observée sur aucun monument) contenant les mots « In Sinu Regio ».

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Titien, Portrait de François Ier, 1539 © Musée du Louvre

L’histoire romancée

Si on traduit au sens littéral, on peut comprendre : « Sur la poitrine d’un roi » mais si on prend la chose dans un sens bien plus métaphorique, on peut alors comprendre : « dans l’affection d’un roi », évoquant par-là les liens très forts qui unissaient le peintre de la Joconde et le vainqueur de Marignan. Or, à cette période, la Cour de France se trouve au château de Saint Germain en Laye où d’ailleurs, la Reine donne naissance à Henri II de France, le 31 mars.

Le journal de François Ier n’évoque aucun voyage royal jusqu’au mois de juillet, ce qui tend à démontrer que François Ier n’était pas présent à Clos-Lucé lors du dernier soupir de Léonard de Vinci. De même, l’élève de Léonard, Francesco Melzi, qui était présent à Clos-Lucé lors de la mort du peintre, évoque la disparition de son maître dans sa correspondance, sans pour autant citer une seule fois une quelconque présence royale. Or, la présence de François Ier à cette date n’aurait pu être passée sous silence par l’élève du maître de la Renaissance.

La toile de Jean-Auguste-Dominique Ingres n’est donc pas à prendre au pied de la lettre. Représentation romancée de l’Histoire de France, celle-ci cherche avant tout à idéaliser un épisode historique plutôt que s’attacher aux faits. Restent la qualité de l’exécution de la toile, ses couleurs surprenantes et le charme certain de sa composition.

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