Article proposé par Exponaute

Au Musée des Beaux-Arts d’Angers, Jean Lurçat et l’éclat du monde

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En cette année 2016, les musées de la ville d’Angers célèbrent les cinquante ans de la disparition de l’artiste Jean Lurçat, décédé le 6 janvier 1966 et laissant derrière lui une œuvre prolifique qui s’intéressa aussi bien à la tapisserie qu’à la peinture en passant par la céramique. L’exposition du Musée des Beaux-Arts, « Jean Lurçat, l’éclat du monde », offre au public de redécouvrir l’artiste, à travers une centaine d’œuvres diverses, dont la clé de voûte n’est autre que la Tapisserie de l’Apocalypse imaginée par Lurçat, en 1947…
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Tapisserie Ornamentos Sagrados, vue de l’exposition © Agathe Lautréamont

En juillet 1938, à l’occasion d’un séjour à Angers, l’artiste Jean Lurçat reçoit un choc artistique, esthétique, spirituel. Il découvre la Tenture de l’Apocalypse, impressionnante tapisserie datant du XIVe siècle et représentant des scènes clés de l’Apocalypse selon Saint Jean. Longue de 104 mètres (bien qu’elle en mesurait à l’origine 138), cette tenture monumentale frappe Lurçat bien sûr par sa beauté et la finesse de sa réalisation, mais également par ses thématiques.

Là où certains n’y voient que la retranscription sur tissu des visions du saint chrétien livrées dans le dernier livre du Nouveau Testament, l’artiste y décèle une actualité étonnante. Après tout, l’Apocalypse (qui signifie « Révélation », loin du sens terrifiant qu’on lui accole aujourd’hui) ne fait que confronter les espoirs de l’Homme et ses peurs les plus primaires, et donc pérennes.

Nous sommes en 1938, date où le monde se trouve au bord du gouffre. Lurçat ne le sait pas encore, mais il va par la suite tourner presque la totalité de son art vers cette tapisserie exceptionnelle, qui dit autant la catastrophe que l’illumination, la peur que l’espérance.

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Vue de l’exposition © Agathe Lautréamont

Guerre et Paix

Cette tenture, elle est omniprésente dans le parcours proposé par le Musée des Beaux-Arts d’Angers. C’est véritablement la rencontre d’une vie. Rien de surprenant alors, à ce que les visiteurs puissent admirer, en bonne place et mises en écho avec diverses peintures de l’artiste, la série de gravure de l’Apocalypse par Albrecht Dürer. Entre volonté de garder espoir en l’humanité et effroi face à la folie de l’homme, l’œuvre de Lurçat naviguera toujours dans cette dichotomie.

On a beaucoup parlé de l’impact qu’eurent sur le travail de Jean Lurçat la Première et la Seconde Guerre Mondiale (le fils adoptif de Lurçat, Victor, mourra dans le camp de concentration de Flossenbürg), mais c’est oublier un élément majeur : l’artiste est né dans les Vosges, en 1893 : une région qui souffre encore du souvenir de la guerre franco-prussienne de 1870.

Ainsi, tout au long de sa carrière, le peintre, dessinateur et céramiste dédiera sa pratique artistique à l’expression d’un pacifisme viscéral, féroce si l’on ose l’oxymore. La couleur, toujours vibrante et intense dans son travail, chante un idéalisme, un rêve de communion et de compréhension entre les peuples.

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Tapisserie Le Grand Charnier, vue de l’exposition © Agathe Lautréamont

Illusions perdues

Il espère qu’après les désastres de la guerre, passé 1945, l’Humanité pourrait retrouver le chemin de l’entente. Les explosions atomiques à Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, le désespèrent tant qu’il dédiera une étape de sa tapisserie monumentale, Le Chant du Monde, à ce désastre humain.

À la même époque, Albert Camus, très engagé politiquement à gauche comme Lurçat, écrit dans l’édition du 8 août 1945 de l’Humanité : « Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison. » Lurçat choisira la voie artistique pour mener ce combat contre la paix.

Des cartons de tapisserie sont ainsi mis en perspective avec des manuscrits médiévaux magnifiquement enluminés contenant prières et textes liturgiques. Les céramiques bigarrées de Lurçat trouvent un écho surprenant dans les gravures de Dürer. Mais parfois, le ton se fait plus sombre, lorsque des tapisseries aux motifs éclatants engagent un dialogue lugubre avec des photographies prises dans les tranchées de 14–18 ou lors de la libération des camps de concentration de Buchenwald et Flossenbürg.

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Tapisserie de l’Apocalypse de Lurçat, vue de l’exposition © Agathe Lautréamont

De grandes espérances

Mais toujours, immanquablement, revient la lumière, celle qui porte les espoirs de l’Homme ; tandis que les couleurs chamarrées utilisées par Jean Lurçat dans son art témoignent d’un optimisme inébranlable, malgré tout.

Malgré ses drames personnels, malgré le monde moderne qui a semblé devenir fou pendant la première moitié du XXe siècle. Lurçat est de ces artistes qui savent déceler de l’éclat dans les temps les plus obscures.

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