Article proposé par Exponaute

Le photographe Steve McCurry pris en flagrant délit de Photoshop. Un faux débat ?

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Grand reporter travaillant pour la prestigieuse agence Magnum, Steve McCurry est une véritable pointure dans le monde du photoreportage. Cependant, celui à qui on doit le fascinant portrait de la jeune réfugiée afghane aux yeux verts a quelque peu dérapé en fin de semaine dernière, puisqu’un grossier coup de Photoshop a été repéré sur une de ses récentes images… Oups !
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La photo de la discorde : Cuba, 2014 © Steve McCurry

Les nostalgiques de l’argentique utilisent souvent cet argument pour décrier l’ère du tout-numérique dans le monde du photojournalisme : les trop récurrentes affaires de retouche et coups de Photoshop appliqués aux images d’aujourd’hui. Et tout récemment, c’est un tout nouveau malaise qui a à nouveau secoué le monde du photojournalisme. Sauf que cette fois-ci, on ne parle pas de n’importe qui puisque le journaliste surpris à avoir fait un usage poussif du logiciel de retouche n’est autre que Steve McCurry !

Membre de la célèbre agence Magnum, trente ans de photoreportages au compteur, de nombreuses zones de guerre couvertes et une volée de prix internationaux en tout genre… Il n’y a pas à dire, McCurry est une véritable pointure, une star dans l’univers de la photographie ; à tel point que certaines de ses images sont devenues de véritables icônes. Or manifestement, même les plus grands de sont pas à l’abri d’une petite sortie de route…

Depuis le 1er avril, le photographe est mis à l’honneur à Turin dans une exposition « Le monde de Steve McCurry », présentée jusqu’au 25 septembre prochain. L’accrochage rassemble quelque deux cent cinquante images prises par le photographe au cours de ses indénombrables voyages aux quatre coins du monde, du Brésil à l’Inde en passant par l’Afghanistan. Tout se déroulait à merveille jusqu’à ce que le 29 avril, un photographe italien nommé Paolo Viglione remarque quelque chose d’étrange sur un des clichés exposés.

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Zoom effectué sur la photo qui fait polémique, où on discerne la retouche ratée © Steve McCurry

Sur une photographie prise dans les rues de La Havane, à Cuba, un poteau de signalisation semble comme léviter au-dessus du sol, tandis qu’à sa gauche, un passant se trouve avec la moitié de sa jambe remplacée par un morceau dudit poteau signalétique ! Une ébauche de retouche grossière (McCurry a manifestement inversé les positions de ces deux éléments dans un souci d’esthétique) qui a semble-t-il été oubliée par le reporter.

L’image, non-finalisée, a finalement été exposée en l’état ! Paolo Viglione, plus amusé que scandalisé par cette erreur de débutant, a partagé l’information sur son blog personnel, sans se douter qu’il allait déclencher une véritable polémique. Un éternel retour de la question du bien-fondé de la retouche dans le photojournalisme, et plus largement dans la photographie en général.

Face à la déferlante de critiques, Steve McCurry a décidé de retirer la photo de son site internet personnel, avant de se défendre dans un courrier envoyé à PetaPixel et sur le blog photo italien La Republicca. « Aujourd’hui, je définirais mon travail comme une narration visuelle (…). La plupart de mes travaux récents ont été faits pour mon propre plaisir dans des lieux que j’avais envie de visiter pour satisfaire ma curiosité sur les gens et la culture. Mon travail à Cuba, par exemple, a été fait au cours de quatre voyages personnels. » Dans ces deux plaidoyers, McCurry livre une différenciation entre son travail de photojournaliste, qu’il défend de toute retouche, et ses clichés plus personnels qu’il se sent libre de manipuler.

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Zoom effectué sur la photo qui fait polémique, où on discerne la retouche ratée © Steve McCurry

Sommes-nous là face à un faux débat ? Il faut dire qu’aujourd’hui, aucun photographe professionnel ne présente jamais ses clichés « bruts de capteur », c’est-à-dire tels qu’il les a pris avec son boîtier. Un travail de post-production est toujours réalisé, parfois infime, comme des couleurs un peu ravivée, une ride effacée ou une lumière corrigée. Si à l’époque où sa mission était d’être un photojournaliste devant dévoiler des faits, rapporter des témoignages directs, Steve McCurry s’est peu à peu éloigné de cette sphère pour dédier aujourd’hui son travail à des projets bien plus intimes, réalisés avant tout pour le plaisir.

« Aujourd’hui, je pense que je suis avant tout un « storyteller » : mon objectif est de raconter l’histoire de mon aventure avec le monde. Ce n’est plus un travail de news, je ne cherche pas à donner des informations sur un lieu, je ne prétends pas vous faire comprendre comment est Cuba aujourd’hui, comment vivent les gens dans cette société, je n’ai pas ces contraintes. » précise le photographe, avant de se dédouaner : la retouche ratée aurait été réalisée sans son accord.

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Mosquée Hazrat Ali, Afghanistan © Steve McCurry

Toujours est-il que cette énième débat sur le fait de retoucher ou non des photos n’apporte pas grand-chose à la question, et a probablement trouvé un écho aussi puissant uniquement parce que l’on parle de Steve McCurry et non d’un photographe moins connu et n’ayant pas exposé aux quatre coins du globe au cours de sa vie. Beaucoup considèrent encore que la photographie est une pratique objective requérant une honnêteté totale, ce qui implique refuser toute retouche, toute modification. Une utopie, quand précisément le monde de l’image est profondément subjectif.

Le fait même de prendre une photo d’un sujet, de le cadrer de telle façon et non d’une autre représente un choix et donc une modification de ce qui s’est passé à l’instant T où la photo a été prise. Devant une photo, nous ne sommes pas face à la réalité mais face à une réalité telle qu’elle a été comprise et captée par le photographe. Du choix de l’optique (courte focale, téléobjectif) aux réglages choisis sur le boîtier en passant par le cadrage et la retouche finale, tout est subjectivité, tout est manipulation, qu’elle se fasse via les choix du reporter ou par des curseurs bougés sur Lightroom ou Photoshop.

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Sharbat Gula photographiée en 1984, l’image avait été publiée dans le magazine National Geographic © Steve McCurry

En vérité, le plus surprenant reste que Steve McCurry ait pu réellement laisser passer une tentative de retouche aussi grossière et que celle-ci n’ait été repérée que tardivement dans une exposition ouverte tout de même depuis le début du mois d’avril. Qu’il ait décidé de déplacer un poteau dans un souci de composition et d’équilibre de son image finale est-il si grave ? On ne parle pas d’un mensonge réalisé sur une image à forte portée politique par exemple, qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves.

En attendant, le mal est fait. Des internautes n’ont pas tardé à se ruer sur le site internet de Steve McCurry, loupe sur l’œil, en quête d’autres retouches.  Une véritable quête de la vérité, ou une envie de quelque peu égratigner l’image parfaite d’un immense photographe dont les images aux compositions sublimes et aux couleurs percutantes ont profondément marqué la photographie contemporaine ?

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Kaboul, Afghanistan © Steve McCurry

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