Article proposé par Exponaute
« Ben ?! Y avait pas une pyramide ici à l’époque ?! Mais si, genre en verre et tout ! ». Soyons honnête, l’expérience ne va pas jusque là, et c’est peut-être même son intérêt. Pendant plusieurs semaines, jusqu’au 27 juin pour être précis, la Pyramide du Louvre sera recouverte d’une oeuvre de JR, photographe et artiste de rue qu’on ne présente plus : une anamorphose, un trompe-l’œil qui reproduit la façade du musée habituellement cachée par cette fameuse pyramide. A défaut de faire disparaître comme par magie, l’anamorphose se fond parfaitement dans le décor à condition de se placer à un point précis, un point d’anamorphose plutôt facile à repérer, on comprendra pourquoi.
En s’attaquant à la Pyramide du Louvre (en partenariat avec le musée, bien évidemment, et en finançant lui-même le projet en majeure partie), JR remue le couteau dans une plaie qui, pour certains, n’est pas cicatrisée. En 1989, la pyramide réalisée par Ieoh Ming Pei avait suscité des débats intenses et interminables, une sorte de querelle des anciens et des modernes revisitée avec, il faut le dire, une bonne part de considérations esthétiques.
Dans une moindre mesure, JR ravive le débat et crée du neuf, du street-art monumental et dans l’ère de son temps, en ravivant la flamme de l’ancien Louvre, de celui qu’on admirait avant les années 80 sans avoir la vision obstruée par le géant de verre (oh oh oh). Mais au-delà d’un débat sans doute stérile, l’anamorphose de JR est remarquable car elle est beaucoup plus que l’intention basique que l’on pourrait lui prêter : elle agit sur le visiteur, sur la foule et sur la façon dont, en 2016, on visite le Louvre.
Certains diront « inutile », le fait est que le recouvrement est spectaculaire, le pari pourtant risqué est tenu. Mais tout est dans la réception : à chaque pas, la Pyramide bouge, change, brille et, surtout agit. Pendant un mois, le monument se lâche et enfile un masque qui finira par tomber après quelques jours de folie, d’une folie qui modifie totalement notre façon de le percevoir. Selon JR : « Le collage sur la Pyramide remet en question des réflexes. Il faut trouver la meilleure position pour l’anamorphose, ou au contraire la déconstruire. L’œuvre permet donc ce déplacement physique mais aussi de l’imaginaire, du regard, des idées. Le spectateur n’est pas passif. Il y aura donc un seul point de vue qui permettra de voir l’œuvre dans sa totalité, et d’autres angles qui viendront la déconstruire. C’est le rôle d’une œuvre d’art que de remettre en cause les points de vue. »
Et c’est précisément ce qui arrive : d’abord, on observe, on apprivoise, on essaye en changeant de position par rapport à la lumière du soleil, à ce qu’on entrevoit. Arrive ensuite ce moment inévitable : il est où, ce point d’anamorphose ?
Et c’est là que surgit la force de l’installation : JR maîtrise absolument le monde dans lequel il vit et a pensé son oeuvre en considérant ses répercutions. Car là où on pensait devoir chercher l’endroit idéal pendant dix minutes avec l’air un peu idiot, le peuple reprend ses droits : une file d’attente d’une cinquantaine de personnes, smartphones en joue, qui attendent les quelques secondes qui leur permettront de faire face à l’oeuvre et de prendre, à peu de choses près, la photo ici présente. ↓
C’est en observant le nombre incalculable de visiteurs qui, devant la Pyramide, tournaient le dos au musée pour prendre un selfie, pour être vu avec le monument plutôt que pour le voir, que JR a eu l’idée d’un tel trompe-l’œil. A moins d’avoir un remarquable compas dans l’œil de son smartphone (ou d’avoir un délai trop long pour la file d’attente assoiffée d’images en rafales), difficile de prendre LE selfie parfait qui fera bien paraître sa fraise et disparaître la Pyramide du Louvre.
Le fait est qu’en faisant la queue, en jouant avec la lumière, en s’appropriant l’oeuvre, on regarde. Et on partage. L’oeuvre sera virale, elle l’est déjà, instagram, snapchat, twitter facebook et pinterest en sont, eux aussi, recouverts : JR étend son oeuvre à un territoire infini tout en agissant uniquement, d’une manière un peu paradoxale sur la subjectivité pure de la vue des visiteurs. Chapeau. Et lunettes de soleil !
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