Article proposé par Exponaute
Si le thème de l’exposition peut sembler très simple de prime abord : « Turner et la couleur », le parcours proposé par le centre d’art Caumont entend pourtant décortiquer l’essence créatrice de Joseph Mallord William Turner et prouver que, quand bien même il est un des peintres anglais les plus célèbres, on le connaît malgré tout bien moins qu’on ne le pense. C’est ainsi que l’accrochage débute avec le jeune Turner, pas celui à la touche chatoyantes et diluée qui lui vaudra de farouches ennemis dans le monde de l’art, mais celui qui se forme au contact des grands modèles.
Le maître en devenir s’est formé en parfait autodidacte à l’aquarelle légère et au dessin précis. Pourtant, adolescent, il n’échappe pas à la nécessaire et formatrice confrontation avec les géants du passé. Il admire Titien, il s’inspire de Poussin, il repense Canaletto et infuse dans ses premières toiles ces diverses influences classiques. Mais, déjà esprit libre, indépendant et surtout ambitieux, Turner ne tarde pas à se targuer de l’envie de dépasser ses modèles. Aussi en repensant les thèmes de prédilection de ses sources d’inspiration, il y injecte déjà des touches de couleur d’une fluidité annonciatrice de son style, même si à cette époque, sa palette peut encore être qualifiée de sombre.
Le sursaut lumineux ne manquera cependant pas de vite se manifester, tandis que dans une toile comme Le Déluge, il jette ses premiers feux par des touches d’une clarté surprenante dans un sujet aussi terrible que le thème biblique. Turner fera montre toute sa vie d’une mémoire phénoménale, aussi utilisa-t-il cette capacité pour glisser dans ses œuvres des souvenirs de paysages admirés des mois voire des années auparavant, pour ajouter une touche irréelle à ses œuvres. Par la suite, il installera son atelier en plein air, pour mieux fixer ce qu’il voit directement sur son support.
Qu’il représente les sommets enneigés de la Savoie en 1803, un soleil d’un jaune éclatant saisi au-dessus des eaux du Rhin dans les années 1820 ou la campagne préservée des alentours de Rome en 1819, Turner démontra tout au long de cette étape de sa carrière une passion constamment renouvelée et ingénue pour les plaisirs des découvertes prodigués par le voyage. C’est en effet à compter de 1802 qu’il se met à parcourir le monde. Cette période marque la fin des guerres napoléoniennes, ce qui implique que les anglais peuvent enfin s’extraire de leur sécularité et investir le continent en traversant la Manche.
Non pas que Turner se lassait de ses paysages britanniques qu’il chérissait tant, mais les scènes contrastées offertes par le sol du Vieux Continent insufflèrent dans ses toiles un renouveau véritable. La lumière d’Italie et de Suisse n’est en effet en rien comparable à celle que l’on admire dans les stations balnéaires du sud d’Albion. Ainsi l’artiste abandonne-t-il toujours plus la représentation du motif stricte pour donner une plus grande primauté à la couleur seule.
Que ce soit via le flou poétique de l’aquarelle ou la touche affirmée de la peinture à l’huile, Turner parvient dans ses toiles réalisées à cette étape de sa carrière à créer une double figuration. Il rend compte, dans des œuvres d’une beauté à couper le souffle, autant de l’aspect physique que de l’esprit qu’il choisit de fixer sur sa toile.
Tout au fil de sa carrière, Turner aura été un expérimentateur infatigable ; que ce soit dans son style que dans les moyens utilisés. Ainsi, l’artiste était-il connu pour se jeter avec une curiosité insatiable sur chaque nouveau pigment qui arrivait sur le marché, quand bien même celui-ci n’avait pas nécessairement fait ses preuves et démontré sa fiabilité pour une utilisation en art. Qu’importe ! Ce qui compte, c’est la quête effrénée de la nouveauté, qui nourrit l’imaginaire. Dès 1840, Turner se découvre une passion pour le kaléidoscope, pour ses formes circulaires, ses éclats de teintes chamarrées qui se mélangent entre elles sans cesse pour produire des visions aussi irréelles que lyriques.
Très inspiré par cet instrument, l’objet lui inspirera une série d’œuvres en format carré, représentant dans des scènes proches de l’abstraction des visions fantastiques, prises dans des tourbillons bigarrés. Ces toiles sont agrémentées de touches aussi fragmentées que sublimes, reproduisant les éclats colorés du kaléidoscope. Malheureusement, avec ces productions bien trop modernes pour être saisies de ses pairs, l’artiste britannique s’attira d’autant plus moqueries et critiques.
Bien rares seront les observateurs qui accepteront de saisir dans ses travaux les fantaisies d’un véritable magicien de la couleur, qui à la fin de sa vie, produit moins des paysages que des éloges à l’imagination et à la fantaisie la plus totale, parfois empreinte d’une forme de mysticisme (comme avec la toile Le matin après le Déluge, Moïse écrivant le livre de la Genèse, 1843). Il faut prendre le temps de se laisser emporter par ces vortex colorés, ou par ces aplats de couleur d’une luminosité presque aveuglante ; le voyage visuel est véritablement (mais comme toujours chez Turner), sensationnel.
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