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Un livre, une œuvre : La porte de l’Enfer, d’Auguste Rodin

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Premier épisode de notre nouvelle série sur les grandes œuvres de la littérature qui ont inspiré les artistes ! Pour ce tout premier volet, nous allons nous attarder sur un monument de la langue italienne, et plus généralement de la littérature mondiale : le long poème de Dante Alighieri, La Divine Comédie. Probablement composé entre 1303 et 1321, ce chef d’œuvre littéraire n’a cessé de d’inspirer les artistes de toutes les époques et de toutes les nationalités. Aujourd’hui, lumière sur la plus célèbre sculpture d’Auguste Rodin, La porte de l’Enfer, directement inspirée de la première partie de la Divine Comédie du poète italien.
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Auguste Rodin, La porte de l’Enfer, Musée Rodin © Wikimedia Commons

Une œuvre de longue haleine

Tout commence, comme très souvent en art. Une porte, pour être tout à fait précis, demandée en 1879. Celle qui serait destinée à orner le futur musée des Arts Décoratifs de Paris, prévu pour ouvrir au public quelques années plus tard. Le projet d’institution culturelle tel que pensé à cette époque ne verra cependant jamais le jour mais le sculpteur lui, transcendé par cette œuvre qu’il imagine d’emblée monumentale et inoubliable, n’abandonne pas ce projet d’opus magnum. Pendant plusieurs années, relisant le premier poème de La Divine Comédie de Dante, l’Enfer, l’artiste français y puise son inspiration, se nourrit des visions apocalyptiques du poète du XIVe siècle et va peu à peu, dans le plâtre, donner corps aux descriptions chimériques et torturées du maître italien.

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Auguste Rodin, détails de La porte de l’Enfer, Musée Rodin © Wikimedia Commons

Pendant de longues années, c’est avec une minutie presque fiévreuse, transporté dans sa pratique de la sculpture, que Rodin crée près de deux cents figures et autres groupes. Un vivier incroyable, peuplé de corps décharnés ou torturés, de muscles noueux et de visages décomposés. Cet incroyable nombre de figures amena d’ailleurs le grand artiste à les réutiliser à plusieurs reprises, isolant certains personnages et groupes de leur œuvre originelle afin de les présenter indépendamment.

L’exemple le plus célèbre de cette réutilisation reste probablement l’inénarrable Penseur. Cet homme, initialement positionné au sommet de la porte et représentant le poète Dante lui-même, méditant sur sa création, est devenu une des sculptures les plus célèbres de Rodin.  Ce n’est cependant qu’en 1917 que la version en bronze que nous connaissons, et que l’on peut admirer dans le jardin du Musée Rodin de Paris, sera finalement coulée. Auguste Rodin, malheureusement, mourut avant de voir le résultat final de tant d’années d’effort.

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Auguste Rodin, détails de La porte de l’Enfer, Musée Rodin © Wikimedia Commons

 Le choix de l’Enfer

Par la richesse des étapes du poème, par le très grand nombre de personnages que l’on trouve dans la trentaine de chants qui composent l’œuvre, par l’incroyable imagination dont a fait preuve l’écrivain pour concevoir les sept cercles de l’Enfer, la première étape de la Divine Comédie de Dante est celle qui a le plus inspiré les artistes au cours des siècles. Johann Heinrich Füssli, Eugène Delacroix, Gustave Doré, William Blake ou encore Jean-Baptiste Carpeaux figurent parmi la longue liste de créateurs qui puisèrent dans le monde torturé et dans le bestiaire de Dante pour nourrir leur pratique artistique.

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Auguste Rodin, détails de La porte de l’Enfer, Musée Rodin © Wikimedia Commons

En ce sens, Auguste Rodin ne fait pas exception à la règle. Mais dans La porte de l’Enfer, Auguste Rodin a choisi de se défaire de tout cadre narratif, de tout élément qui permettrait de déceler les différentes étapes qui jalonnent l’œuvre. C’est ainsi que comme une armée, comme une vague déferlant sur le support qu’est la porte, les indénombrables personnages sculptés par Rodin envahissent l’espace, rampent le long des battants, chutent en lançant un cri silencieux de son sommet, s’accrochent à toutes les aspérités qu’ils peuvent trouver. En certains endroits, la structure est si recouverte de corps entremêlés qu’il est délicat de la percevoir.

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Statue de Dante à la Piazzale des Offices de Florence © Wikimedia Commons

Pas d’ordre apparent, encore moins de hiérarchisation : tout n’est que chaos, le désordre renvoie à la violence qui règne dans les Enfers ; tandis que les bras et les jambes désarticulés comme des pantins expriment la détresse et la douleur face aux châtiments infligés à ceux qui ont péché durant leur vie sur Terre. En regardant la Porte de l’Enfer, on pense inévitablement aux tympans, cordons de voussures et portails des églises et cathédrales. Rodin dans un sens, redéfinit la sculpture religieuse dans un chaos qui n’est pas sans rappeler les effrayants Jugements Derniers que l’on rencontre si fréquemment à l’entrée des églises. Complexe, éternellement retravaillée par Auguste Rodin, La porte de l’Enfer ne vole donc en rien le titre d’œuvre d’une vie.

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