Article proposé par Exponaute

Cellules : au Guggenheim Bilbao, voyage dans la psyché de Louise Bourgeois…

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Les œuvres de Louise Bourgeois n’ont pas leur pareil pour créer des atmosphères absolument uniques. Dans une muséographie surprenante et quelque peu angoissante, le Musée Guggenheim de Bilbao présente jusqu’au 4 septembre prochain l’exposition « Louise Bourgeois : Structures de l’existence », qui se concentre sur 28 de ses fameuses « cellules », tout en décryptant par l’accrochage de dessins et peintures le processus de création de ces impressionnantes sculptures. Visites dans un monde à cheval entre le mystère et l’enfer.

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À l’image du français, le terme anglais de « cells » que l’on traduit par « cellules », peut se parer de plusieurs sens. Ce dont parle Louise Bourgeois dans ses œuvres oppressantes et étonnantes, est-ce la prison dans laquelle le prisonnier est maintenu loin de la société ? Serait-ce plutôt celle du moine, reclu lui aussi mais volontaire, qui dans sa solitude, trouve une continuité de sa foi ? Ou alors, sommes-nous plutôt face à une représentation artistique de l’unité biologique structurelle commune à toutes les formes de vie ?

C’est probablement une des forces principales des sculptures de l’immense artiste Louise Bourgeois. Suggérer des pistes d’interprétation plurielles, qui peuvent toucher aussi bien à l’inconscient freudien qu’à la thématique de la mémoire, en passant par la révélation de ses angoisses les plus profondes qui jalonnèrent d’étapes bien sombres toute son existence…

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« L’art comme garant de santé mentale »

Chaque petite pièce est unique. Les murs peuvent être composés de planches de bois usé, de grillage rouillé ou d’ancien silo à grains récupéré. À l’intérieur, un capharnaüm d’objets hétéroclites, vieillis, récupérés au hasard des promenades de l’artiste, des rebus de son atelier, des reliques de son passé couvertes de poussière. Louise Bourgeois souffrait de syllogomanie, ce trouble qui vous pousse à absolument tout garder, ne rien jeter, comme par crainte de voir s’envoler un souvenir, un petit morceau de vie.

C’est alors que le titre de l’exposition devient soudainement limpide. Louise Bourgeois : Structures de l’existence. Dans chaque cellule, c’est une composante du quotidien de l’artiste, de ses obsessions, de ses thématiques de prédilection, en créant une mise en scène à chaque fois unique, entre cauchemar et espoir, entre claustrophobie et désir d’évasion.

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« Je suis ce que je crée de mes mains »

Dans une scénographie proche d’un labyrinthe, l’exposition du Musée Guggenheim Bilbao instaure une atmosphère pesante, où les tons monochromes dominent, où la rouille côtoie les métaux, où des araignées (les fameuses sculptures « Mother ») semblent nous détailler depuis leurs toiles de fer, prêtes à fondre sur nous ou dérangées en plein travail d’un tissage d’une nouvelle structure pesante, glaciale. Tout dans ces structures imposantes renvoit au désir obsédant de l’artiste de se souvenir constamment de tout, de ne rien laisser glisser hors de ses souvenirs, et de donner corps à ces pièces de mémoire via des objets ramassés ou récupérés dans ses ateliers successifs.

Et dans le même temps, les cellules ne sont pas fermées, mais percées de nombreuses portes et fenêtres. Un appel lancé à son contenu, lui suggérant l’idée de s’enfuir, pour que la créatrice elle-même puisse tout laisser aller et enfin peut-être, parvenir à oublier certains mauvais moments terrés dans son passé.

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« L’art est la manipulation, sans l’intervention »

On retiendra une cellule particulièrement émouvante : la seule à être dotée de quelques touches de couleurs. Aiguilles, fils, bobines, navettes et trames de grande taille composent son ensemble, sa structure interne. On le devine, c’est la prison dans laquelle Bourgeois a enfermé le souvenir de ses parents et plus précisément de sa mère, qui travaillait comme restauratrice de tapisserie. Les araignées aux fines et interminables pattes que l’on croise dans d’autres cellules, c’est également la figure maternelle, qui travaille sans fin la soie, la connaît parfaitement et en tire ce qui lui plaît.

Comme les tapissiers travaillent à partir de trames, celle de Bourgeois c’est le long fil de ses souvenirs qu’elle remonte, remonte, révèle, expose, enferme et libère successivement ; comme si l’artiste se sentait constamment piégée dans un entre-deux irrespirable. On ressort de l’exposition le souffle court, l’estomac noué tant les œuvres sont bouleversantes, tant elles exposent sans ambages les tréfonds de l’esprit de Louise Bourgeois.

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Photographies : © Agathe Lautréamont

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