Article proposé par Exponaute
Monet, Manet, Morisot, Renoir, Degas… Ils sont tous là, et pour cause : à Rouen le festival Normandie Impressionniste a trouvé son exposition tête d’affiche. Il a pourtant fallu composer avec une difficulté. Réunir les impressionnistes, certes, le public suivra (près de 2 millions de visiteurs pour l’édition précédente). Encore fallait-il innover, surprendre, présenter le mouvement sous un angle nouveau, là où on ne l’attend pas. Pour donner le la à l’ensemble du festival, le musée des beaux-arts de Rouen a donc décidé de prendre le thème de sa troisième édition au pied de la lettre et d’explorer une pratique parfois méconnue du mouvement impressionniste : le portrait.
Alors qu’au Havre ou à Caen on a choisi une exposition monographique en tant que « portrait » d’un artiste précis par son oeuvre (Eugène Boudin pour l’un, Frits Thaulow pour l’autre), Rouen s’attache à représenter le mouvement de l’intérieur, avec un regard plus intime sur les artistes et leur entourage. Ces Scènes de la vie impressionniste sont la succession d’un ensemble extrêmement riche et original, qui révèle certains aspects de la vie des artistes tout à fait inattendu.
Si on associe en général les impressionnistes à une représentation révolutionnaire et sensorielle des paysages, la pratique du portrait et plus généralement la représentation de scènes d’intérieur est chez eux une pratique courante. Et même complémentaire. Il suffit d’admirer quelques instants le portrait remarquable de Camille Monet par son mari pour que cela saute aux yeux : le tableau intitulé Méditation agit comme un Monet, un grand, un chef-d’oeuvre, mais d’une manière plus intime, peut-être plus personnelle. C’est là tout l’intérêt de l’exposition : découvrir un groupe d’artiste via une pratique que l’on parfois connait peu (des caricatures de Monet et même quelques sculptures) et qui rend compte concrètement de sa vie, de ses relations et de son quotidien.
La série de tableaux qui représente probablement le mieux ce que l’on peut ressentir en faisant face à tant de grands artistes est probablement celle des portraits croisés : les uns représentent les autres et communiquent la vision et souvent l’admiration du créateur pour son modèle. On pense notamment à l’un des portraits de Monet par Renoir : l’artiste apparaît, insouciant, pipe à la bouche lisant un livre, loin des pérégrinations esthétiques dont ses tableaux rendent compte et qu’on pourrait imaginer tourmenter son esprit génial. On pense aussi à Manet par Fantin-Latour ou à Berthe Morisot par Edouard Manet que certains considèrent avec un peu d’hyperbole comme « la Joconde du XIXème siècle ». L’histoire de ce portrait-là embrasse finalement celle des autres. Là où l’on pourrai penser pénétrer sans pudeur dans le cercle intime des artistes se trouve finalement une pratique souvent commerciale : Berthe Morisot n’a pu acheter son portrait, vendu à un marchand, que des années après sa création, son visage dépendant du marché de l’art avant de retrouver son modèle original.
Le couple Manet-Morisot est d’ailleurs une sorte de fil rouge de l’Histoire du mouvement, de ce portrait de 1872 à ceux de Julie Manet, fille de Berthe Moorisot et d’Eugène Manet, frère d’Edouard. Au cœur de la famille impressionniste, Julie Manet devient, dès son enfance et tout au long de son éducation, la muse de plusieurs peintres : sa mère, évidemment, son oncle, mais aussi Renoir, son parrain (Mallarmé l’était également) qui la peindra plusieurs fois, notamment dans un portrait très touchant auprès de Berthe Morisot, sa mère. Dans des scènes du quotidien extrêmement touchantes, à travers des traits appuyés sur des détails, les portraits nous plongent dans l’intimité profonde d’une famille d’immenses artistes, au fil des années : les visages que l’on retrouve aux quatre coin de cette vaste exposition, ce sont ceux d’hommes, de femmes et d’enfants que les impressionnistes ont embarqué dans leur aventure.
En présentant tout ce beau monde jusqu’aux peintres en personnes, l’exposition devient elle-même un immense portrait, esthétique et historique, nouveau, original et très complet de toute une génération. En quelques toiles on y entre, on y est : l’exposition du musée des Beaux-Arts de Rouen est une parfaite entrée en matière dans cette saison de festivités impressionnistes. Voire un passage obligé.
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