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L’Iran se rouvre à l’art contemporain avec une exposition exceptionnelle

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Publié le , mis à jour le
L’Iran serait-il sur la voie de l’ouverture artistique ? C’est ce que semble présager l’exposition Towards the Ineffable, une rétrospective consacrée à l’artiste Farideh Lashai (1944–2013) qui avait été soigneusement gommée de l’histoire de l’art iranien par la révolution islamique de 1979.
faridehAffiche de l’exposition Towards the Ineffable du Musée d’Art Contemporain de Téhéran

En choisissant de mettre à l’honneur la peintre, écrivaine et traductrice iranienne Farideh Lashai, le musée d’art contemporain de Téhéran ne propose pas qu’une simple exposition, mais opère un véritable retour dans le temps, à l’époque précédant la destitution du Shah Mohammad Reza Pahlavi, au profit de l’Ayatollah Rouhollah Khomeini. Farideh Lashai avait en effet été rejetée de l’art iranien suite à l’instauration de la République islamique ; et les deux conservateurs du musée de Téhéran, en décidant d’associer divers artistes internationaux et iraniens au travail de la créatrice décédée en 2013, rassemblent une collection d’œuvres frappante et exceptionnelle dans l’histoire récente de ce pays.

Et puisqu’une nouveauté en appelle fréquemment une autre, le musée d’art contemporain de la capitale iranienne a fait appel, pour la première fois depuis les événements de 1979, à un conservateur étranger pour mener à bien cet accrochage. Germano Celant, historien de l’art travaillant à la Fondation Prada de Milan, a pu ainsi travailler en collaboration étroite avec Faryar Jayaherian, conservatrice iranienne, pour retracer le cheminement d’une peintre qui a su au cours de sa carrière mêler art contemporain et art classique persan. Le curateur italien n’hésite pas à parler de dialogue pour qualifier cette rétrospective, invitant le public à mieux connaître le contexte historique en toile de fond des créations de Lashai, tout en illustrant ses influences internationales, allant de Van Gogh à Pollock en passant par Picasso.

Réapparition d’une collection

tehranLe musée d’Art contemporain de Téhéran.

Une autre particularité liée à cet accrochage est bel et bien le mystère entourant les œuvres exposées à l’occasion de cette rétrospective sur Lashai. Farah Pahlavi, troisième et dernière épouse du Shah d’Iran, avait en effet travaillé à la création d’une vaste collection d’art, allant du XIXe siècle à la période contemporaine, bien avant que d’autres pays du Moyen-Orient comme le Qatar ou les Émirats Arabes Unis ne se mettent à se doter d’une présence artistique internationale en construisant à grands renforts de dollars et d’ouvriers traités en esclaves musées et autres galeries.

Cette collection compte des impressionnistes, des symboles du pop art, des œuvres américaines d’après-guerre ou des travaux cubistes significatifs. Véritable catalogue historique de la production artistique mondiale de 1880 à la deuxième moitié du XXe siècle, cet ensemble est la plus importante collection d’art moderne hors monde occidental. Les chiffres suffisent à donner le tournis : 1500 œuvres, dont 300 pièces de productions occidentales. Son estimation ? Entre 2,5 et 3 milliards de dollars… Signe du goût éclectique de la dernière impératrice d’Iran, on trouve des œuvres de Magritte, Toulouse-Lautrec, Munch, Warhol, Degas… Des créateurs qui influencèrent aussi Farideh Lashai.

Des œuvres anti-islamiques

farahFarah Pahlavi, veuve du Shah d’Iran, en 2009 © Site officiel de Farah Pahlavi

Mais cet incroyable fonds n’était pas du goût de tout le monde, encore moins de celui des dirigeants islamistes qui ont repris les rênes du pays après le départ du Shah en 1979.  Le personnel du Musée d’art Contemporain de Téhéran décroche alors les tableaux acquis par l’ancienne famille royale, et les relègue à l’obscurité et à la poussière des caves de l’institution, les rendant inaccessibles au public et tâchant de les faire oublier le plus vite possible.

Objets de l’ire du nouveau pouvoir totalitaire, ces œuvres étaient selon les cas taxées de pornographiques et d’anti-islamiques, représentations détestées de l’occidentalisme que la famille du Shah avait tenté d’imposer. Les livres, films et musique venus d’Europe et des États-Unis furent brusquement bannis sur ordre de l’Ayatollah ; la peinture ne pouvait subir que le même sort, peu importe qu’elle soit signée Francis Bacon ou Marc Chagall.

Au fil de l’histoire mouvementée du pays, la collection put reparaître à la lumière, œuvre par œuvre ; tout dépendait de la politique du gouvernement alors en place. Que ce soit sous la domination de Mohammad Khatami ou vers la fin du mandat de Mahmoud Ahmadinejad, des peintures purent être exposées grâce à un assouplissement des restrictions touchant à l’art.

Mais à ces périodes d’ouvertures pouvaient succéder des temps plus sombres, comme en 2002 où le Conseil des Gardiens de l’Iran décida d’interdir la vente d’œuvres du musée d’art contemporain, arguant que commercialiser des œuvres non islamiques était un péché. Heureusement, au vu du programme d’expositions in situ ou hors les murs, il y a fort à parier que l’institution ait amorcé un changement.

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