Article proposé par Exponaute

Ecrire le désir : le sexe chez Victor Hugo, entre pureté et dépravation

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Si on a beaucoup écrit sur Victor Hugo et son œuvre, un questionnement revient fréquemment : celui de son rapport à la sexualité, et au corps féminin. Comment les considérait-il ? L’exposition Eros Hugo : entre pudeur et excès, propose d’explorer cette thématique, en plaçant ses écrits en rapport avec son époque, et les modes de cette dernière.

Louis Boulanger, Claude Frollo et la Esmeralda, 1833 © Maison de Victor Hugo Louis Boulanger, Claude Frollo et la Esmeralda, 1833 © Maison de Victor Hugo

Lorsqu’on considère la seconde moitié du XIXe siècle, il est évident que sensualité et sexualité apparaissent sans retenue dans les productions artistiques en vogue. L’auteur de La Légende des Siècles a-t-il délibérément pris le contre-pied de son temps, en produisant des personnages en apparence chaste, tout en entretenant lui-même plusieurs maîtresses et une épouse officielle ?

Le parcours chronologique de l’exposition tend à démontrer que le cheminement de l’écrivain fut plus complexe, allant d’une période de jeunesse faite de retenue et de non-dits jusqu’à une fin de vie où la figure mythologique d’Eros se trouve vantée, célébrée, magnifiée parfois jusqu’à la démesure. Illustration de cette permanente hésitation avec le roman le plus célèbre de l’écrivain du XIXe siècle : Notre-Dame de Paris, publié en 1831.

Pulsion sexuelle

On le sait, les premiers écrits romanesques de Victor Hugo furent considérablement influencés par le goût de cette première moitié de siècle pour le roman gothique. Narrations aux codes bien spécifiques, ce registre littéraire fait appel au fantastique, aux atmosphères sombres et oppressantes, où la magie noire rivalise avec les personnages maléfiques allant de la femme vampire au moine débauché.

Or, les œuvres les plus emblématiques de ce courant, comme Le château d’Otrante d’Horace Walpole, Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu ou encore Les mystères d’Udolpho d’Ann Radcliffe ont tous en commun cette récurrente thématique de la pulsion sexuelle, d’autant plus violente et obsédante qu’elle ne se trouve jamais assouvie ; soit par rejet de la personne désirée, soit par interdit moral ou social.

Louis Boulanger, La Sachette défendant la Esmeralda, 1833 © Maison de Victor HugoLouis Boulanger, La Sachette défendant la Esmeralda, 1833 © Maison de Victor Hugo

Des codes similaires sont ainsi perceptibles dans le roman qui permit de réveiller l’intérêt des Parisiens pour l’architecture gothique et la préservation de son patrimoine séculaire. La Esmeralda, bohémienne à la peau aux reflets dorés des Égyptiennes et aux grand yeux verts, incarne cette personnification de la femme aimée pour une sensualité dont elle n’a pas conscience ; et pour cela, elle sera tour à tour enviée, poursuivie, enlevée, enfermée pour au bout du compte subir un martyr qu’elle n’avait pas mérité.

La femme comme double

Victime innocente de l’idolâtrie qu’elle suscite bien malgré elle, ce personnage emblématique de l’univers hugolien est une allégorie d’un amour des plus insolites, puisque empreint de violence et de tentation, où l’avidité pour la chair fait tourner les têtes de trois hommes gravitant autour de la gitane : le paria bossu Quasimodo, le bellâtre et couard Phœbus de Châteaupers et l’ecclésiastique pervers Claude Frollo.

Ce dernier personnage renvoie au Moine de Matthew Lewis, dont des illustrations pour une édition du roman gothique sont présentées en parallèle de celles réalisées par le peintre et graveur romantique Louis Boulanger. Les parentés sont frappantes, lorsqu’on prend le temps de détailler les postures des deux religieux torturés de corps et d’esprit par leurs envies coupables et leurs rêves de luxure qu’ils ne peuvent pas concrétiser au risque de condamner leur âme pour toujours.

Mais au-delà de l’univers littéraire, les pulsions éprouvées par Claude Frollo dans Notre-Dame de Paris peuvent-elles être une incarnation des sensualités de l’écrivain ?

Louis Boulanger, L'amende honorable, 1833 © Maison de Victor HugoLouis Boulanger, L’amende honorable, 1833 © Maison de Victor Hugo

« Tout à coup Phœbus enleva d’un geste rapide la gorgerette de l’égyptienne. La pauvre enfant (…) se réveilla comme en sursaut ; elle s’éloigna brusquement de l’entreprenant officier, et, jetant un regard sur sa gorge et ses épaules nues, rouge et confuse, et muette de honte, elle croisa ses deux bras sur son sein pour le cacher. (…) Ses yeux restaient baissés. »

Pour Hugo, dont le mariage avec Adèle Foucher est heureux (ce qui ne l’empêchera pas de prendre plusieurs maîtresses au cours de sa vie), la femme est une créature intrinsèquement double : gloire et honte, Ève et Lilith, pureté chaste et châsse du désir masculin.

« Je ne t’aime pas, mon Phœbus ! Qu’est-ce que tu dis là, méchant, pour me déchirer le cœur ? Oh ! Va ! prends-moi, prends tout ! fais ce que tu voudras de moi, je suis à toi. »

Cette dichotomie entre le bien et le mal, la pureté et la dépravation, fascine Victor Hugo qui égrainera dans toute son œuvre des oxymores de ce type, et qui se feront de plus en plus explicites, abandonnant graduellement les métaphores et autres insinuations qui peuvent être rencontrée dans Les Travailleurs de la Mer ou Les Orientales pour des scènes bien plus déchaînées, éloquentes et catégoriques dans L’homme qui rit, par exemple. Un paradoxe très bien mis en lumière par l’exposition de la Maison de Victor Hugo.

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