Article proposé par Exponaute

Le chant magnétique de Mona Hatoum au Centre Pompidou

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Jusqu’au 28 septembre, le Centre Pompidou accueille Mona Hatoum et une centaine de ses œuvres dans ce qui est l’exposition la plus complète de sa carrière. Pluridisciplinaire,

parfois engagé, le travail de l’artiste britannique étonne, attire avant de toucher les consciences et surtout, de déstabiliser, de bouleverser presque physiquement.

Ulysse lui-même rendrait les armes. A l’entrée de l’exposition consacrée à Mona Hatoum par le Centre Pompidou, une voix attire et se répète. « So much I want to say », dit-elle, sans arrêt, dans un rythme qui se transforme rapidement en atmosphère à la fois pesante et incroyablement attirante. Cette voix, c’est celle de l’artiste enregistrée pour une installation qui sera le premier contact du visiteur avec son œuvre. Première œuvre et premier conflit entre attirance sensorielle quasi magnétique et malaise perturbant, souvent engagé, toujours saisissant. Chant de sirène, lutte intérieure.

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Mona Hatoum, Cube, 2006 © Mona Hatoum/ Rennie Collection

Sensate

De part ses origines palestiniennes, il serait facile d’inscrire Mona Hatoum dans une perspective purement engagée. Cela ne serait pas tout à fait faux, mais assez réducteur. Chez elle, tout passe par les sens, par un dialogue puissant entre l’œuvre et son spectateur et, c’est cette puissance qui finit par atteindre, ensuite, la conscience. Au milieu de la première salle, un grand cube. Une cage sans entrée, sans sortie, formée par des barreaux de fers forgés qui s’entrelacent. Très vite, le regard est perdu, enfermé à l’intérieur de l’impénétrable, soudainement privé de liberté, accompagné par cette voix qui semble maintenant angoissante. « So much I want to say ». Une sensation qui se rappelle au visiteur par le malaise physique que provoque le jeu de lumière de Light Sentence (littéralement sentence légère ou sentence par la lumière), ou la majestueuse installation intitulée Impenetrable. La première est une pièce étroite, animée par une lumière projetée sur deux quadrillages de métal. La pièce bouge, les ombres fascinent à l’unisson, le retour à la réalité est difficile, perturbant. La seconde, Impenetrable, est un cube de trois mètres de côté composé de fils barbelés suspendus, une jungle acérée qu’on désire absolument traverser, en dépit de la douleur, voire même de l’instinct de survie.

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Mona Hatoum, Light Sentence.  Crédit Philippe Migeat/Centre Pompidou

Instinctivement, certaines œuvres ont même parfois l’air de toucher au ludique, sans jamais l’être vraiment. Une spectatrice espiègle prend la pose, son visage dans le trou d’un superbe paravent métallique. Mais la scène s’assombrit quand soudain l’œuvre apparaît sous son vrai jour et prend tout son sens: le paravent est une rappe à fromage à taille humaine, instrument de torture macabre. C’est avec le visiteur que l’œuvre de Mona Hatoum peut agir, en jouant à la fois sur le quotidien, la réinterprétation de plusieurs objets communs et sur un dialogue sensoriel moins pragmatique, tout aussi signifiant. La forme soignée d’un esprit déchaîné.

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Mona Hatoum, Grater Divide,  2002 © Photo Courtesy White Cube

Terre magnétique

Conçue comme une véritable « cartographie », l’exposition explore l’artiste, sa façon de voir le quotidien, de voir le monde (plusieurs œuvres représentent des cartes géographiques) et passe même, en certains endroits, par sa découverte physique. Passée l’affiche et le visage de l’artiste, une installation plonge le visiteur à l’intérieur de son corps, via les enregistrements d’une micro-caméra chirurgicale. Le corps, filmé de près et de l’intérieur devient abstrait, une créature fascinante, légèrement monstrueuse. Plus tard, les ongles de l’artistes, englués dans de la résine, ou encore, et surtout, ses cheveux, en boules étalées au sol, cousus sur un keffieh. Physiquement, Mona Hatoum est un peu partout.

Installée à Londres en 1975, Mona Hatoum a été séparée de sa famille, bloquée par la guerre civile qui vient d’éclater au Liban et porte donc en elle la vision d’un monde fragile et sous tension. C’est ce qu’exprime Hot Spot, une cage d’acier sphérique sur laquelle les frontières, toutes les frontières sont rouges, comme en fusion, comme sur le point de céder, partout. Devant cet immense globe, une petite fille découvre — son père lui montre — « l’Australie », la porte sur ses épaules, « nous, on est ici. ». Elle s’émerveille, elle apprend à connaître le monde, son monde, qui, sous ses yeux, brûle.

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Mona Hatoum, Hotspot, 2006. © Mona Hatoum/ Centre Pompidou

Autre carte, autre fragilité. Devant la baie vitrée lumineuse, des centaines de billes de verre, reflets somptueux, toutes assemblées pour représenter le monde, encore une fois, à plat. Les billes sont simplement posées, minutieusement, sensibles à la moindre vibration du sol, menaçant de se déplacer à chaque instant. Rien ne le précise, rien ne met en garde, on marche tout autour, on admire le détail. De loin, on s’inquiète. Un rien changerait tout, un rien pourrait tout détruire. Brillamment placée face à cette immense fragilité cartographique, une sculpture : Le Socle du monde. Un cube massif qui encore une fois attire. Le toucher cette fois-ci. La texture énigmatique semble douce, sans trop de certitude. En réalité, du fer, encore, des fils de fer, toujours, adhérant à des aimants cachés.

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Mona Hatoum, Socle du monde, 1995 © Photo Courtesy White Cube

Devant Mona Hatoum, devant son œuvre, on ne peut s’empêcher de penser à Edouard Glissant, attiré presque physiquement par celle qu’il qualifie de Terre magnétique, l’île de Pâques gardée par ses statues monumentales, ses Moaïs, qui exercent une force inquiétante sur ceux qui la découvrent. « L’allure de ces têtes hautaines, préparées pour le malaise et l’étonnement, nous maintenait là tranquilles au bord de l’incertain ». C’est un peu ce dont il s’agit ici, sur cette vaste étendue qu’est l’exposition Mona Hatoum, un contact avec le magnétique, parfois engagé, toujours saisissant, et sensiblement « au bord de l’incertain ».

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