Article proposé par Exponaute

La sculpture ivoirienne en dix questions

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Jamais un nom n’avait été posé sur les fabricants de statuettes ou de masques ivoiriens des XIXème et XXème siècles, tant appréciés par les artistes comme Picasso et simplement dénommés « antiquités africaines ». L’exposition « Les maîtres de la sculpture en Côte d’Ivoire » du musée du Quai Branly corrige cet anonymat et s’emploie à redonner une identité à ces artistes aux spécificités propres. Six régions artistiques (correspondant aux six parties de l’exposition) ont été délimitées : les Dan, les Sénoufo, les Lobi, les Gouro, les Peuples des Lagunes et les Baoulé. Pour chaque territoire, environ huit sculpteurs sont montrés. Entretien avec le co-commissaire Lorenz Homberger, ancien conservateur du musée Rietberg à Zurich.

Vue d’exposition « Les maîtres de la sculpture en Côte d’Ivoire », © musée du quai Branly, photo Gautier Deblonde

Quelle est la spécificité de la sculpture ivoirienne ?

La sculpture ivoirienne est l’une des plus riche d’Afrique. On voulait lui rendre hommage en lui donnant une histoire, des noms et des caractéristiques propres, à la fois par régions, mais aussi par artistes. Dans l’exposition, on s’est concentré sur l’œuvre et non sur la production, sur l’origine et non la fonction des objets.

Comment avez-vous réussi à rassembler toutes ces pièces (plus de 300 ) pour l’exposition ?

Une vingtaine d’institutions en Europe (le musée Barbier-Mueller de Genève)et aux États Unis (le Metropolitan Museum of Art de New-York) et une quarantaine de collectionneurs privés dans le monde nous ont prêté des œuvres. 330 objets sont présentés ; avec au total, environ 200 pièces attribuées. On n’a pas pu réunir tous les objets souhaités à cause du coût élevé des assurances pour le transport. Les collectionneurs privés sont assez fiers généralement de présenter leurs objets dans une exposition. En revanche, les musées publics étaient plus réticents à cause de la durée du prêt d’un an (du fait de l’itinérance de l’exposition). Cette dernière a déjà « tourné » dans différentes institutions : d’abord à Zurich, Bonn et Amsterdam et maintenant à Paris.

Vue de l’exposition « Les maîtres de la sculpture en Côte d’Ivoire », © musée du quai Branly, photo Gautier Deblonde

Avant le XIXème siècle, quels sont les antécédents de l’art de la sculpture ivoirienne ?

Le problème est que l’on est dans une région tropicale donc les œuvres ne vivent pas très longtemps. Par exemple les masques peuvent servir vingt ans puis les fourmis les mangent.

Comment les œuvres ont-elles pu être identifiées sachant qu’elles ne sont pas signées ?

Ce n’est pas signé car les Ivoiriens ne connaissaient pas l’écriture. On a vu des sortes d’encoches sur certains masques mais cela peut être aussi des traces du propriétaire. En l’absence de renseignements, on a attribué des surnoms, comme « maître aux mains en forme de pelle ».

Dans les années 1980, afin d’identifier ces sculptures, une collègue anthropologue les montrait à des artistes ou à des villageois et retraçait selon leurs réponses la provenance des objets. C’est comme cela que l’on a pu écrire les biographies des sculpteurs.

Quel était le statut de l’artiste ?

Les artistes étaient reconnus et ce statut donnait un certain prestige. On a des exemples de clients qui se déplaçaient d’un village à un autre pour passer une commande chez un grand sculpteur.

Uopié, Sengle, Masque chantant, vers 1920,  © Brooklyn Museum, Don d’Arturo et Paul Realto Ramos

Pourriez-vous nous citer un sculpteur célèbre de la Côte d’Ivoire ?

Uopié (1890–1950) est un maître reconnu. Il est essentiellement célèbre pour ses masques de bois au menton très court, au grand front sans sourcils et au nez triangulaire. Ils sont reconnaissables à la mince fente des yeux, semblant regarder vers l’au-delà et des lèvres en avant, charnues. Des dents en métal étaient insérées dans la bouche. Ce visage représente l’idéal de beauté de la tribu Dan de l’époque. Ces masques servaient lors de fête ou de rites d’initiation.

Sra, Maternité, première moitié du XXème siècle, bois et aluminium, © musée du quai Branly, photo Patrick Gries, Valérie Torre

Quel objet présenté nécessite le détour ?

Une de ses œuvres les plus célèbres est la Maternité du musée du Quai Branly. Il s’agit d’une statuette de 63 cm de hauteur réalisée en bois noirci et représentant une femme debout, les bras le long du corps et un enfant dans le dos. Son visage est scarifié, la coiffure est constituée de deux coques et les dents sont en métal. Le sculpteur, Sra, se rappelait lui-même dans une interview : « J’ai fait une sculpture pour un grand blanc ( le gouverneur Antonietti) en 1930 qui la ramenait dans un grand musée à Paris (le musée de l’Homme) ». Il était très fier.

Quel est l’intérêt occidental pour la sculpture ivoirienne ?

Dans les années d’après-guerre, l’intérêt pour l’art africain en Europe s’est accru et les intéressés n’ont malheureusement pas seulement essayé d’acheter des chefs-d’œuvre mais ont fait réaliser des copies directement sur place. A cause de cela, la qualité à baissé.

Comment et à quelle période les musées européens se sont-ils procuré ces pièces africaines ?

Dans les années 1950 en Côte d’Ivoire, les gens ont commencé à se séparer de leurs objets sacrés à cause du culte de Massa, très répandu à cette époque et qui consistait à se débarrasser de biens précieux. Ils les mettaient dans des grands pots et les missionnaires catholiques les échangeaient contre de l’argent. C’est comme cela que ces objets sont arrivés dans les collections européennes. Quelques années plus tard, le culte de Massa a disparu.

Que pensez-vous de la restitution des objets aux pays d’origine ?

Je suis tout à fait pour. J’ai fait une exposition pour l’ouverture du Quai Branly en 2006 sur les ciwaras (type de masque), sous condition que cette exposition soit présentée aussi au Musée national de Bamako. Elle l’a été en 2011. Des agriculteurs venaient et comparaient les masques avec les leurs. La sûreté malheureusement n’est pas encore garantie partout.

Sabu bi Boti,  Masque zaouli avec figurine, 1975, © Museum Rietberg Zürich, photo: Rainer Wolfsberger

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