Article proposé par Exponaute

Shining Forth de Barnett Newman, l’état civil d’une rescapée

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Entrée dans les collections du Centre Pompidou en 1979, dégradée dix ans plus tard par la projection accidentelle d’un jet d’huile de manutention, l’immense toile Shining Forth de Barnett Newman (1905–1970) sort de l’ombre. Fraîchement restaurée, elle sera de nouveau présentée au public dès le 27 mai. Portrait d’un chef-d’œuvre de l’art moderne rescapé in extremis.

B.NEWMAN-T

On l’a bêtement éclaboussée en voulant changer une ampoule haut placée à l’aide d’un élévateur capricieux carburant à l’huile. Résultat : des coulures brunes s’incrustent dans les fibres, les tentatives de nettoyage (qui provoquent des auréoles) sont abandonnées, et voilà l’œuvre exilée 16 ans en réserve. Son avenir reste incertain jusqu’à la reprise du chantier de restauration à partir de 2010, sous l’impulsion conjointe d’un spécialiste américain de Newman (Richard Wolbers), du C2RMF (Centre de recherche et de restauration des Musées de France) et du Centre Pompidou.

L’équipe vient enfin à bout des salissures accidentelles mais également des tâches ocre générées par la dégradation chimique des colles vinyliques (instables) utilisées à l’époque par l’artiste. Exposée brièvement au public en janvier, Shining Forth (to  George) réintègrera au printemps le nouvel accrochage des collections permanentes dans une salle dédiée à l’artiste américain. Elle sera accompagnée d’un documentaire sur la restauration. Portrait de l’oeuvre sous forme d’état civil, à défaut de pouvoir en contempler, dès maintenant, toute l’étendue métaphysique.

Date de naissance : 1961. La toile, née dans l’atelier de l’artiste à Carnegie Hall, est achevée en une après-midi à l’occasion d’ « une explosion d’énergie créative » d’après le critique d’art Thomas Hess. Son premier bain de foule remonte à 1963 quand elle est exposée à la Sydney Janis Gallery de New York. Seize ans plus tard, elle entre dans les collections du Centre Pompidou grâce au don de la Scaler Foundation. On la croisera entre-temps au Metropolitan Museum de New York, au Grand Palais à Paris ou à la Tate Gallery de Londres à l’occasion de la vague rétrospective dont bénéficie Barnett Newman en 1972.

Nom : Shining Forth (to George), traduit en français par « qui brille au loin » ou « surgit la lumière ». Le prénom entre parenthèses fait référence au frère cadet de l’artiste décédé peu de temps avant la réalisation de la peinture, en janvier 1961. Barnett Newman est très éprouvé par ce deuil et lui dédicace la toile. Sa forte luminosité   ̶  la surface est simplement recouverte d’un enduit écru  ̶  peut s’interpréter comme une réponse à « la terreur de l’inconnaissable » et au « chaos noir et dur qu’est la mort » (tel que l’écrit Newman).

Surnom : le « zip », tout simplement ; tel qu’on a coutume d’appeler toutes les toiles de Barnett Newman divisées par une bande verticale (plus rarement horizontale). Fermeture-éclair qui structure la peinture. Le premier « zip » de la carrière de l’artiste, Onement 1 (conservé au MOMA de New York) date de 1948. Il est ocre, peint à l’aide d’un Scotch adhésif recouvert de pigments qui laissent sur la surface leur empreinte en négatif. Le nôtre est noir   ̶ la couleur du « vide » pour Newman. Il cohabite sur la toile avec deux autres zips « positifs », de largeurs différentes : net et rectiligne au centre ; mince, légèrement tremblant à gauche. Signature de l’artiste, le zip « unifie » autant qu’il découpe la toile. Ici noir sidéral, concentré de rien, il ouvre l’espace mystérieux de la peinture au mystique et au « sublime ».

Taille : un honnête 290 × 442 cm (un peu moins large que les plus imposantes de ses œuvres, qui frôlent les 6 m) et des proportions idéales. Selon son positionnement sur la toile, le zip crée des tensions, des dynamiques plus ou moins asymétriques. Shining Forth (to Georges), lui, dégage un fort sentiment d’harmonie ; de plénitude malgré sa surface plate. Les bandes se suivent à un rythme régulier à partir d’un axe central. Par ses dimensions, l’œuvre se mesure au corps et l’intègre. Chez Newman, peindre n’est pas une affaire de sujet ni de forme (ni de beau) mais de rencontre, d’expérience perceptive et d’ « émotions absolues ».

Signe particulier : ne cherchez pas, il n’y pas de cadre, comme chez Rothko (le meilleur ennemi de Newman). L’œuvre sans contours marqués se confond avec l’espace entier ; elle doit « contenir ce monde sans fin, dans ses propres limites » déclare l’artiste.

Frères et soeurs : deux petites soeurs, deux toiles datées de 1962 (Not There-Here, zip jaune vertical sur fond blanc) et de 1968/69 (Jericho, triangle noir traversé d’un zip rouge) cohabitent avec Shining Forth dans les collections du Centre Pompidou. La première provient également d’un don, cette fois de la femme de l’artiste Annalee Newman.

Mouvements associés : l’expressionnisme abstrait (auquel Barnett Newman est traditionnellement rattaché comme figure majeure de l’Ecole de New York) mais surtout ici le Color-field, qui propose dans les années 1940/50 une alternative à l’Action Painting, moins « physique » et plus méditative. Shining Forth, faux monochrome, s’apparente à un « champ d’immersion dans la  couleur ». Une couleur devenue sujet de la peinture.

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 Barnett Newman (à droite), Jackson Pollock et Tony Smith en 1951, soit dix ans avant la création de Shining Forth. La photographie de Hans Namuth est également conservée par le Centre Pompidou. Courtesy MNAM-Centre Pompidou.

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