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Viollet-le-Duc, le fou d’architecture

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Publié le , mis à jour le
Le XIXe siècle fut le plus grand, et Viollet-le-Duc son prophète. Faisant la synthèse des âges précédents et annonçant le nouveau, l’architecte-restaurateur de Notre-Dame fut à l’image de son temps : fou et passionné. La Cité de l’architecture en livre le portrait complexe.

Eugène Viollet-le-Duc, étude de gargouille pour Notre-Dame-de-Paris.

La magnifique affiche de l’exposition Viollet-le-Duc. Les visions d’un architecte annonce la couleur : directement inspirée des couvertures illustrées des éditions Hetzel, qui publièrent Jules Verne, elle évoque les utopies fabuleuses du XIXe siècle, celui des génies fous dont l’imagination s’est nourrie des siècles précédents pour alimenter les suivants.

Homme du XIXe par excellence, touche-à-tout, expérimentateur grandeur nature, Eugène Viollet-le-Duc (1814–1879) est un véritable personnage de roman, qui à l’image de son époque imposa un mélange des genres et une inlassable énergie d’explorateur du savoir. A la fois utopiste et positiviste, poussant la doctrine normative jusqu’aux « délires du système » selon l’historien de l’architecture Jean-Paul Deniaud, romantique et rationaliste, Viollet-le-Duc a tout essayé, raté, réessayé pour manquer encore. Grande figure de l’échec, l’architecte et restaurateur des monuments historiques fut aussi celui qui modela une certaine idée du Moyen-Âge, transmise via sa « cathédrale idéale du XIIIe siècle » et ses dessins pour les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France publiés par le baron Taylor.

Viollet conçoit la restauration comme une reconstitution rêvée d’un idéal qui n’a probablement jamais existé, frôlant la caricature (qu’il pratique dans ses mémoires et sa correspondance) et provoquant la polémique. Du château de La Belle au bois dormant par Walt Disney aux architectures extravagantes de Game of Thrones, Viollet-le-Duc est un peu l’un des pères l’heroic fantasy moderne.

Eugène Viollet-le-Duc, Système cristallin des restes d’aiguilles séparant le glacier d’Envers de Blaitière de la Vallée Blanche, à l’angle. Moitié d’un rhomboèdre. Restes actuels vus du Tacul, Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine © Ministère de la Culture/RMN-GP.

La Cité de l’architecture et du patrimoine lui rend un bel hommage, dégageant le portrait d’un homme rêveur et habité. Chargé par Mérimée de la restauration de la basilique de Vézelay dès l’âge de vingt-six ans, puis assistant de Lassus à la Sainte-Chapelle trois ans plus tard, Viollet-le-Duc n’a pourtant aucune formation architecturale. Ce sont les voyages entrepris à l’adolescence en France et en Italie avec son oncle le peintre Delécluze qui forment son œil : l’apprentissage des grands principes architecturaux se fait donc essentiellement par l’observation et non la théorie, comme en témoigne sa pratique intensive du dessin. Épistolier prolixe de ses voyages, Viollet en donne des descriptions fabuleuses, qu’il illustre en marge ou en pleine page de saynètes pittoresques à la Corot et de détails architecturaux précis. Amoureux de l’ancien (il dit vouloir « étudier l’art du Moyen Âge comme on étudie le développement et la vie d’un être animé »), il livre des relevés vivants et colorés des édifices de la Renaissance italienne et du Moyen Âge français, qui alimentent son répertoire ornemental.

Eugène Viollet-le-Duc, relevé du portail de la cathédrale de Sienne.

Génie du décor, Viollet-le-Duc met à profit ce vivier de formes à partir des années 1840 pour s’attaquer au symbole de l’art français par excellence, la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, dont il dirige le chantier de restauration : tel un organisme vivant, la ligne serpentine de ses motifs animaliers et végétaux envahissent l’architecture et le mobilier, du spectaculaire lutrin orné du tétramorphe aux gargouilles en passant par le trésor en or de la cathédrale. La fantaisie et la liberté de trait de Viollet annoncent les courbes de l’Art Nouveau, un demi-siècle plus tard.

Principalement restaurateur, Viollet-le-Duc ne bâtit que peu ex nihilo (sa maison à Lausanne en est un rare exemple), mais envisage des projets fous, comme celui de restaurer le massif du Mont Blanc, qu’il considère comme une ruine d’une splendeur passée et synthétise en un rhomboèdre ! Inlassable pédagogue, il publie de 1854 à 1875 les dix-huit volumes des dictionnaires raisonnés de l’architecture et du mobilier français, et conçoit le projet du musée de Sculpture comparée, ancêtre du musée des Monuments français et de la galerie des moulages de la Cité de l’architecture. Un siècle et demi après sa mort, son héritage demeure des plus vivants.

 

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