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“Littérature”, une revue entre Dada et surréalisme

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Au regard de l’histoire de l’art, la revue Littérature publiée entre 1919 et 1924 fait office de chaînon manquant entre le mouvement dada et le surréalisme. Près d’un siècle après sa création, le Centre Pompidou lui consacre une exposition, focalisée sur les contributions de deux artistes majeurs du XXe siècle : Francis Picabia et Man Ray.

À côté de l’ambitieux réaccrochage des collections contemporaines et la tenue de la grande rétrospective Martial Raysse, l’exposition Man Ray, Picabia et la revue Littérature pourrait facilement passer inaperçue. Il ne faut pourtant la louper sous aucun prétexte.

Francis Picabia, couverture de Littérature, nouvelle série, n°5, 1er octobre 1922, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne @Adagp, Paris 2013.

En 1922, André Breton prend seul les rênes de la revue Littérature, créée trois ans plus tôt avec Louis Aragon et Philippe Soupault. Changement de cap : Breton offre carte blanche à Francis Picabia pour illustrer les couvertures de la revue, en remplacement du chapeau haut-de-forme retourné dessiné par Man Ray pour les trois premiers numéros de la nouvelle série. Picabia se prend au jeu. En plus des neuf couvertures connues, imprimées en une des numéros 4 à 13 de la revue, il réalise un certain nombre d’études et de projets alternatifs.

Dix-sept compositions, ayant appartenu à André Breton, sont restées inédites jusqu’en 2008. Déclarées « œuvre d’intérêt patrimonial majeur » par la commission des trésors nationaux, elles ont fait leur entrée dans les collections du Musée national d’art moderne grâce à une opération de mécénat saluée par Bernard Blistène, et sont aujourd’hui pour la première fois présentées au Centre Pompidou.

Picabia conçoit des dessins dans un style graphique nouveau : alternance de zones noires et blanches, ligne claire à l’encre évoquant par moment ses peintures ripolinées réalisées dans les mêmes années. Dès le premier numéro, Picabia crée le scandale en détournant l’iconographie religieuse traditionnelle du Sacré Cœur. Par la suite il assumera ses positions en figurant une sainte se masturbant ou en agençant deux paires de semelles dans un position explicite. La fantaisie domine, qu’il s’agisse d’un rapprochement, déjà surréaliste, entre un haltérophile tenant à bout de bras un plateau sur lequel est assis un ange ou le jeu de mots « lits et ratures » publié en couverture du numéro 7.

Francis Picabia, Projet pour Littérature, 1922–1924, collection particulière © Adagp, Paris 2013.

La revue Littérature est aussi un formidable relai pour les dernières expérimentations de Man Ray, arrivé à Paris en 1921, qui y publie pour la première fois des images devenues des icônes de la modernité : Élevage de poussière en collaboration avec Marcel Duchamp, rayographies de mains, Violon d’Ingres… En filigrane, la revue Littérature révèle les amitiés et inimités d’André Breton avec Tristan Tzara (leur conflit met fin à l’expérience dada), ou les partisans du roman comme Jean Cocteau ou Marcel Proust. Breton consacre en revanche une large place à Marcel Duchamp, artiste auquel le Centre Pompidou rend hommage cet automne, comme à Giorgio De Chirico ou Pablo Picasso, les deux seuls artistes dont les peintures sont reproduites dans la revue.

Les œuvres de Man Ray, Francis Picabia, comme les textes d’André Breton dialoguent par ailleurs avec les créations de Robert Desnos, Max Ernest ou Paul Eluard, contributeurs privilégiés de Littérature. Si Breton a su ouvrir la revue aux artistes visuels les plus talentueux de son temps, il n’a pas négligé les contributions littéraires, placées au cœur de la revue dès sa création. Les récits de rêves de Robert Desnos, le compte-rendu des premières séances de sommeil hypnotique ou les prémisses de l’écriture automatique y sont publiés.

L’exposition Man Ray, Picabia et la revue Littérature illustre le glissement progressif qui s’est effectué entre la fin du mouvement dada et l’avènement du surréalisme. André Breton publie le Manifeste du surréalisme en 1924 quelques mois seulement après l’interruption de la revue. Le mouvement va regrouper autour de lui ses principaux contributeurs, Francis Picabia excepté. À défaut d’être numérisés ou feuilletables au Centre Pompidou, les douze premiers numéros de la revue sont consultables sur le site de l’université de l’Iowa, un moyen idéal de prolonger ou d’anticiper une visite de l’exposition qui se termine le 15 septembre.

 

Retrouvez dans l’Encyclo : Man Ray

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