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Au Palais de Tokyo, l’atlas démesuré de Georges Didi-Huberman

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Publié le , mis à jour le
Jusqu’au 7 septembre, le Palais de Tokyo accueille les Nouvelles histoires de fantômes de Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger, plongeant le spectateur dans une expérience immersive des images. Une révélation.

Vue de l’exposition de Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger Nouvelles Histoires de fantômes, Palais de Tokyo, Paris, 2014 © André Morin.

On pénètre dans la grande salle courbe du Palais de Tokyo, plongée dans l’obscurité, comme dans la nef d’une cathédrale, avec recueillement et concentration. Au sol, des images en mouvement, que l’on identifie d’abord mal comme des extraits de chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma (Médée et L’Evangile selon saint Matthieu de Pasolini, Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein, Jeanne d’Arc de Dreyer…), et des reproductions d’œuvres célèbres de l’histoire de l’art (Désastres de la guerre de Goya, vase grec, icônes byzantines…). Aux murs, des photographies de l’exposition Atlas organisée par Georges Didi-Huberman à Hambourg, signées Arno Gisinger. Sur un côté, une longue coursive en hauteur, évoquant la loge d’une église, permet de faire le focus sur les images et de les contempler. Étant donné la configuration de la salle, il est impossible d’embrasser l’ensemble d’un seul coup d’œil, et de donner à chacune de ces projections, habituellement vues seules, l’attention nécessaire.

Difficile cependant, de résister à l’émotion ressentie devant ces images-talismans. Mnémosyne 42 est, selon Georges Didi-Huberman, un hommage à la planche 42 de l’atlas Mnémosyne de l’historien de l’art Aby Warburg, montage d’images dédié aux gestes de la lamentation. Elle est ainsi une sorte de « page d’atlas démesurée et animée », comme une carte géo-artistique à l’échelle 1:1.

« L’œil sauvage »

« Dans savoir, il y a voir », suppose Georges Didi-Huberman dans Devant l’image, ouvrage publié il y a près de vingt-cinq ans par le philosophe qui y proposait un « projet d’histoire de l’art » − entendez par là une nouvelle manière de voir. Depuis près de trois décennies, le co-commissaire, avec Arno Gisinger, de l’exposition Nouvelles histoires de fantômes au Palais de Tokyo (présentée une première fois au Fresnoy en 2012), analyse le regard sur les œuvres d’art, notamment à travers la photographie, et le savoir qui les cimente entre elles.

Depuis l’exposition Atlas – Comment porter le monde sur son dos ?, présentée successivement à Madrid, Karlsruhe et Hambourg, Georges Didi-Huberman a choisi de passer du livre au musée, de la page à la cimaise, pour étayer sa démonstration d’une révélation par le voir, et plus précisément par le montage d’images qui va à rebours du découpage traditionnel de l’art. Critiquant ouvertement la méthode autoritaire du Musée imaginaire de Malraux, ce penseur des images opte pour l’« œil sauvage » à la Aby Warburg, régulé en quelque sorte par la réflexion de Walter Benjamin évoquant le déclin de l’« aura » des images à l’ère de la reproductibilité technique. Pour l’historien, l’art ne doit pas être conçu en « catalogue », subdivisé en catégories historiques ou stylistiques, mais en « atlas », obéissant à un ordre propre, inné (l’origine du terme viendrait de ce que le frontispice de la compilation de cartes publiée par Mercator en 1585 était orné d’une gravure représentant le titan Atlas portant le monde sur ses épaules).

S’opposant à l’autorité du commissaire (et encore plus à celle de l’artiste), Georges Didi-Huberman propose ainsi un kaléidoscope d’images qui est plus un modus operandi qu’une œuvre en soi, et n’a de rapport ni avec l’aléatoire, ni même la subjectivité du goût (comme on peut le voir en ce moment avec la collection d’Antoine de Galbert envahissant Le Mur à la maison rouge). Dans la lignée de Walter Benjamin, il conçoit « une exposition à l’ère de la reproductibilité technique » qui peut tenir, dit-il, dans une clé USB, et varier à chaque station dans sa forme, revendiquant la plasticité insaisissable des images fantômes de l’art. Balayant ainsi la valeur cultuelle de l’exposition, le philosophe et historien de l’art accomplit là un geste politique où chacun peut « inventer de nouvelles configurations, c’est-à-dire de nouvelles significations, libérant ainsi l’ »inconscient visuel » ». Nomade, variable, pluridisciplinaire, politique : l’expo de demain ?

 

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