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Thomas Bayrle, drôles de trames

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Publié le , mis à jour le
« Tout-en-un » : le titre à consonance publicitaire de l’exposition de l’artiste allemand Thomas Bayrle, à l’IAC de Villeurbanne, est à l’image de son œuvre graphique, sculpté et vidéo : d’une grande efficacité. Au croisement entre Op Art et Pop Art, l’artiste bâtit depuis cinquante ans un travail basé sur la trame et la répétition. Étourdissant. 

Thomas Bayrle, Staline (variation rouge), 1970, courtesy de l’artiste. Photo : Wolfgang Günzel.

Après le Wiels de Bruxelles, le MADRE de Naples et le BALTIC de Gateshead, l’exposition All-in-One de Thomas Bayrle achève son itinérance européenne à Villeurbanne. Une démultiplication qui fait écho à un art de la reproduction et à la tentative, selon les propos même de Bayrle, d’« absorber toutes les manifestations culturelles ».

De sa formation de tisserand dans une usine textile, Thomas Bayrle, âgé aujourd’hui de 77 ans, a gardé le goût, pour ne pas dire l’obsession de la trame. Dès les premières œuvres des années 1960 et jusqu’aux plus récentes, l’artiste a fait de la grille son mode d’ordonnancement du monde, et de la répétition son processus de production. Multiplier un motif pour en créer un nouveau : Bayrle emprunte paradoxalement autant à l’esthétique du capitalisme qu’à celle du communisme, qui chacune noie l’individuel dans la masse. Ou quand les campagnes publicitaires de la Vache Qui Rit rejoignent les mises en scènes des régimes totalitaires.

Graphiste et éditeur avant-gardiste (il co-fonde les éditions Gulliver Press en 1960), professeur d’art pendant près de trente ans à Francfort, Bayrle alimente l’ambiguïté entre low et high art, à la manière de ses contemporains du Pop Art. Avec pas mal d’humour, il entame, dans ces Trente Glorieuses ternies par le contexte de la Guerre froide, une critique de la société de consommation doublée d’une contestation de l’endoctrinement publicitaire. Dissimulant l’unique dans des formes multiples subliminales, Bayrle associe culture de masse et mécanisation du travail, mondialisation forcenée et flux de circulation anarchiques, érotisme publicitaire et pornographie imposée.

 Thomas Bayrle, Autostrada, 2003 ; Barfussartztin, 2004. Vue de l’exposition Thomas Bayrle, All-in-One, 2014, Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes © Blaise Adilon.

Profondément politiques, les œuvres de Thomas Bayrle déroutent au premier abord, tant elles miment à la perfection le système débilitant des images qu’elles dénoncent. Mais les maquettes d’autoroutes folles enroulées comme des rubans, ou les moteurs cinétiques, machines célibataires à l’impeccable dessin inspiré de l’industrie automobile, dévoilent rapidement leur inutilité — et de fait, leur qualité d’œuvres d’art. C’est, pour Thomas Bayrle, une forme de résistance qui use de la stratégie du camouflage, « quelque chose, explique-t-il, que l’on ne peut pas faire ouvertement sous peine d’être immédiatement détruit ». Cet imbroglio du sens prend toute sa mesure, et son caractère parodique, dans le labyrinthe que forment les salles de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne.

Christ en croix et Madones, à première vue des répliques exactes d’icônes byzantines, révèlent à l’approche un enchevêtrement de voies rapides : de l’infiniment grand à l’infiniment petit, du véhicule du corps à la circulation de l’esprit, de l’image sacrée à la vacuité de la représentation, Bayrle joue de la métonymie divine. Le un est dans le tout, le tout est dans l’un. Une métaphore que l’on retrouve dans les références au motif de l’hélice de l’ADN.

Ainsi Thomas Bayrle raconte-t-il son expérience de jeunesse dans l’usine de tissage : « Jour après jour, je me suis moi-même laissé aspirer par cet enchevêtrement de chaînes et de trames. J’ai fondu, en quelque sorte ». Dans cette vision d’un monde « fondu », les éléments sont à ce point imbriqués les uns dans les autres que leur séparation implique la destruction du tout. Voire la dissolution de l’artiste.

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