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En images : l’érotisme subtil d’une “fête galante” du XVIIIe siècle

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Publié le , mis à jour le
Le musée Jacquemart-André inaugure le printemps avec une charmante exposition, De Watteau à Fragonard : les fêtes galantes, qui résume en une soixantaine d’œuvres cette manière bien française de célébrer l’amour, ses artifices et ses guet-apens dans une nature fantasmée. Les Plaisirs du bain, tableau de Nicolas Lancret conservé au Louvre, est emblématique de cette heure mystérieuse où la réalité se dissout dans le rêve. Analyse.

Nicolas Lancret, Les Plaisirs du bain, avant 1725, Paris, Musée du Louvre, Département des peintures © RMN-Grand Palais/Jean-Gilles Berizzi.

L’artiste

Nicolas Lancret (1690–1773) n’a que six ans de moins qu’Antoine Watteau (1684–1721), mais ce dernier fut pour lui un réel maître. Non pas au sens académique, puisque le peintre de Valenciennes l’enjoint même à quitter à sa suite l’atelier du peintre Gillot. Lancret prend pour modèle Watteau sans à proprement parler être son élève, au point qu’on a confondu les attributions, ce qui vexa Watteau au plus haut point. Membre de l’Académie, Lancret eût une carrière très respectable, grâce notamment aux scènes de « fêtes galantes » telles que celle-ci, peinte après la mort de Watteau en 1721, à l’âge précoce de trente-sept ans.

La « fête galante »

L’expression fait directement référence au type de scènes champêtres inventées par Antoine Watteau dans les deux premières décennies du XVIIIe siècle. Inspirée des pastorales vénitiennes et flamandes des XVIe et XVIIe siècles, la fête galante est, comme son nom l’indique, la représentation d’un moment d’oisiveté sociale, réservée à l’aristocratie de l’époque, et associée à une notion de séduction. À la fois légères par leurs échos érotiques et graves par l’atmosphère mystérieuse qui en émane, les fêtes galantes de Watteau et ses suiveurs (Lancret, Pater, Troy, Boucher, Fragonard…) désignent un moment de grâce de l’art français.

Détail : couple.

Le tableau

Issue de la collection du baron Edmond de Rothschild, l’huile sur toile de 97 × 145 cm est d’un format relativement important pour une scène de ce type, preuve qu’après la mort de Watteau, la fête galante devient un genre en soi, rivalisant avec la peinture d’Histoire. Moins miniaturiste que Watteau, Lancret donne au genre une ampleur nouvelle. Divisée en trois parties bizarrement liées entre elles, la toile montre au centre un couple dont l’attention est appelée par une scène de baigneuses légèrement vêtues à gauche. Batifolant dans l’eau, elles semblent descendre d’une barque dont on voit une réplique en arrière-plan, comme flottant dans les airs. À droite, une jeune femme se fait coiffer de fleurs, son regard et celui de sa dame de compagnie tournés eux aussi vers les naïades. La nature est profuse, lourde et gorgée de sève, ménageant des zones d’ombre. Le ciel rosissant indique une heure tardive.

Le couple

Au centre du tableau, l’homme et la femme se confondent en une même forme ovoïde posée en diagonale. Pas réellement enlacés mais très proches l’un de l’autre, ils se répondent par leurs gestes. Leurs corps se font face, ouverts l’un à l’autre. Le visage de la galante est caché pour mieux montrer sa nuque délicate, motif de prédilection de la peinture de Watteau, caractéristique d’un érotisme subtil, tout comme l’oreille légèrement rosée dont on retrouve le ton dans sa large jupe aux reflets nacrés. L’homme, comme souvent chez Watteau et ses successeurs, adopte une position assez affirmée, la main posée sur le genou, tout en témoignant d’une grande décontraction. À leurs pieds, la bourse ouverte d’où s’échappent des fleurs récemment cueillies peut symboliser l’acte sexuel à venir.

Détail : baigneuses.

Détail : barque.

La barque

L’embarcation que l’on voit glisser doucement à l’arrière-plan apporte une touche de mystère à cette scène de pur plaisir. Située entre ciel et terre, la barque menée par un moderne Charon, passeur des morts vers les Enfers, est chargée de nombreux convives qui s’enfoncent dans une nature luxuriante. Cet espace indéterminé rappelle les étranges limbes qui entourent la figure que l’on voit en fond du Déjeuner sur l’herbe de Manet, peint un siècle et demi plus tard — scène, elle aussi, d’un érotisme diffus et complexe. La perspective atmosphérique qui entoure les personnages ajoute à cette sensation d’étrangeté, et donne une note grave à ces délicieusement voluptueux Plaisirs du bain.

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