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La mythologie d’Erwin Blumenfeld revue et corrigée au Jeu de Paume

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Publié le , mis à jour le

Principalement connu pour ses photographies de mode, Erwin Blumenfeld (1897–1969), Allemand ayant fui le nazisme, fut avant tout un artiste novateur. Collages, montages, dessins et portraits expérimentaux : l’exposition du Jeu de Paume entend faire sortir de l’ombre ses travaux éclipsés par sa propre réputation.

Erwin Blumenfeld, Autoportrait, Paris, vers 1938, collection Helaine et Yorick Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld.

À l’évocation du nom d’Erwin Blumenfeld, on songe d’abord aux couvertures de magazines. En ce sens, l’affiche de l’exposition, qui représente un mannequin drapé de sa robe verte, appuie malheureusement ce cliché trivial selon lequel Blumenfeld, au final, ne serait qu’un photographe de mode mondain. Pourtant, l’exposition présentée au Jeu de Paume donne à voir des œuvres méconnues. Ainsi, plus de trois cent documents, pour la plupart inédits, dévoilent un artiste complexe, créatif et fortement influencé par son époque.

Erwin Blumenfeld, artiste dadaïste

Erwin Blumenfeld, Charlie, 1920, collage, encre, aquarelle et crayon sur papier, collection Helaine et Yorick Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld.

Pratiquant le collage, le dessin surréaliste, la photographie solarisée, le photographe s’évapore pour laisser place à un artiste aux influences dadaïstes, influencé par des écrivains et artistes d’avant-garde. Ayant manifesté dès son plus jeune âge un grand intérêt pour la littérature, il intègre dessins et fragments de langage à ses collages. Assez inégaux, ses jeux de typographies et de juxtapositions forment des commentaires ironiques, dans un processus typiquement dada.

Ses débuts de portraitiste : jeux et expérimentations

Erwin Blumenfeld, Cecil Beaton, photographe, 1946, Suisse, collection particulière © The Estate of Erwin Blumenfeld.

Cependant, Erwin Blumenfeld range très rapidement les crayons pour choisir l’objectif. Dans le courant de la « nouvelle photographie » qui émerge dans les années 1920, il se forme sur le tas comme portraitiste, dans un magasin de sacs pour dames, la Fox Leather Company, à Amsterdam. C’est là qu’il commence à réaliser ses photographies expérimentales, utilisant l’arrière-boutique comme laboratoire. Des cadrages extrêmement serrés, des niveaux de contrastes élevés et un éclairage propice aux effets spectaculaires (voire diabolique dans son traitement de la distorsion picturale) : Blumenfeld innove et laisse parler ses propres fantasmes. Son univers glamour prend alors des formes inquiétantes où il joue sur un traitement de l’image complexe et précis.

L’apogée : la photographie de mode

Erwin Blumenfeld, Variante de la photographie parue dans Life Magazine, intitulée The Picasso Girl, vers 1941–1942, collection Henry Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld

Cette précision et ce sens aigu de l’originalité sont transposés dans le travail de photographe de mode, à Paris. Loin de l’univers lisse des magazines, Blumenfeld ne se contente pas de tirer de vulgaires scènes pour les grandes marques mais, à sa manière, élève la photographie de mode au rang d’art. Utilisant des miroirs, des tissus ou encore de la dentelle pour accentuer l’effet érotique de certains de ces modèles, il donne par ses effets graphiques une dimension autre à son sujet, l’éloignant du carcan des publications traditionnelles. Par ce procédé, Blumenfeld livre des figures mystérieuses, où se projette son univers onirique, voire critique, la subtilité et l’ironie dada n’étant jamais loin.

L’envers du décor : un artiste marqué par le nazisme

Erwin Blumenfeld, Hitler, Grauenfresse [Gueule de l’horreur], 1933, collage et encre sur photomontage, collection Helaine et Yorick Blumenfeld, courtesy of Modernism Inc., San Francisco © The Estate of Erwin Blumenfeld.

La déshumanisation est un thème central dans le travail d’Erwin Blumenfeld. Il l’utilise à travers ses modèles, et fait de même quand il s’agit de son rapport à l’Histoire. L’arrivée au pouvoir d’Hitler dans l’Allemagne de 1933 le pousse à exécuter une série d’œuvres critiques. Il associe plusieurs négatifs, un crâne et une photo du dictateur, pour réaliser une seule et même image. La photographie montre alors toute l’horreur du personnage, où l’ombre de la mort n’est jamais loin. En filigrane, c’est, chez Blumenfeld, dans le traitement fantasmagorique de l’image que filtre l’angoisse.

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