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Frida Kahlo et Diego Rivera, un dialogue amoureux

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Le musée de l’Orangerie, à Paris, met face à face deux artistes majeurs de l’art du XXe siècle, Frida Kahlo et Diego Rivera, dont la réputation de couple tumultueux a nourri la littérature, le cinéma et même la mode. Au-delà de la légende glamour, quels rapports entretiennent les œuvres des deux peintres ? Analyse comparée.

Frida Kahlo, La Columna Rota, 1944

Frida Kahlo, La Columna Rota, 1944, Museo Dolores Olmedo, Xochimilco, México © Erik Meza/Javier Otaola, 2013 Banco de México Diego Rivera Frida Kahlo Museums Trust, Mexico, D.F./ADAGP, Paris.

La vie de Frida Kahlo fut une souffrance permanente. Atteinte dès l’enfance d’une poliomyélite qui lui déforme le pied droit, elle faillit perdre la vie à l’âge de dix-huit ans dans un terrible accident de bus. Son ventre est transpercé par une barre métallique, et restera à jamais infertile. Frida Kahlo multipliera les fausses couches, tout en ayant à subir de nombreuses opérations du dos, qui la condamnent à rester alitée et à porter de douloureux corsets.

Tout cela, l’artiste l’a maintes fois représenté, n’épargnant ni elle-même ni le spectateur : l’accident, son corps meurtri, ses bébés morts, les affres du handicap, son obsession de la mort. Sa relation compliquée avec Diego Rivera, qu’elle épouse puis dont elle divorce, pour se remarier ensuite, etc., est selon elle l’autre « accident » de sa vie. Animal blessé à l’orgueil démesuré, elle peint sur son corset, se fait installer un chevalet et un miroir sur son lit de convalescence pour réaliser des autoportraits, suit Diego Rivera au péril de sa santé physique et mentale, porte le costume traditionnel mexicain au mépris de l’américanisation galopante.

Tout cela, c’est la légende de Frida. Mais qu’en est-il de Kahlo l’artiste ? Son œuvre ressemble à un journal intime. Plus d’un tableau sur trois est un autoportrait, les autres illustrent pour la plupart des épisodes de sa vie. Égocentrée, Frida Kahlo use de la peinture comme d’un exutoire à sa souffrance, qu’elle accentue encore dans des toiles comme Quelques petits coups de pique, qui la montre nue, ensanglantée – le sang jaillissant jusque sur le cadre du tableau.

Ainsi cette célèbre Colonne brisée montre-t-elle l’artiste crucifiée telle une sainte martyre, le corps tranché en deux, la colonne vertébrale malade étant remplacée par une colonne à l’antique fêlée. Sa chair est constellée de clous, des larmes coulent sur ses joues, son buste est tenu par un corset métallique. Frida Kahlo se représente le visage légèrement tourné, surmonté du fameux mono-sourcil dont elle accentue l’effet graphique, à la manière des portraits du Fayoum. Nue, se détachant devant un paysage désolé, par opposition au cadre de jungle luxuriante dans lequel elle se représente généralement, elle semble particulièrement vulnérable, mais son buste aux seins ronds et à la taille délicatement soulignée par les bandes dégage un étrange érotisme.

Nous sommes en 1944, Frida Kahlo a trente-sept ans, elle est en grande partie invalide. Dans un style onirique proche du surréalisme, son corps-architecture et son regard indélébile font d’elle une déesse au destin tragique.

Diego Rivera, Vendedora de Alcatraces, 1943

Diego Rivera, Vendedora de Alcatraces, 1943, collection particulière © Francisco Kochen/ADAGP, Paris 2013.

Diego Rivera était « l’éléphant », Frida Kahlo « la colombe », il était un géant à gueule de forban, elle était d’une fragilité de poupée de verre, lui son « grand amour », elle « son ancienne magicienne ». Bénéficiant à plus ou moins juste titre d’une réputation d’artiste ogre, d’homme à femmes, de peintre-monument(al), Rivera fut un héros du socialisme à la mexicaine, un génie de la fresque, un passeur entre l’art de l’ancienne Europe (où il vit de 1907 à 1921) et celui de la jeune Amérique. Auteur de murales incarnant les idéaux de la Révolution, il fut même adoubé par les Etats-Unis capitalistes, pour lesquels il réalisa des commandes (notamment au Detroit Institute of Arts et au Rockefeller Center de New York). Frida Kahlo lui voue un amour sans bornes, elle qui lui écrit : « Je voudrais te peindre, mais les couleurs manquent, tant elles peuplent ma confusion, forme concrète ».

Ainsi Diego Rivera montre-t-il tous les signes extérieurs de l’artiste « viril », à la manière d’un Picasso à l’appétit créatif à même de repeindre la terre entière. Mais l’exposition de l’Orangerie permet de sortir un peu de ce cliché genré pour (re)découvrir un peintre, certes auteur de fresques au kilomètre, mais sachant faire preuve d’un pinceau délicat, notamment dans ses portraits tout en finesse.

De fait, cette Vendeuse d’arums de 1943 (contemporaine de la Colonne brisée de Frida Kahlo) montre tout la tendresse du peintre pour l’héritage indigène, auquel il initie sa compagne. Assis dans une sorte de recueillement face aux fleurs gigantesques (on songe aux pistils et pétales sexués de Georgia O’Keeffe), les personnages aux longues tresses et aux pieds joints sont peints dans un style rond et naïf, proche de celui de Frida Kahlo, mais assez éloigné dans son inspiration. L’œuvre pourrait tout à fait être un détail de l’une de ses monumentales fresques.

Diego Rivera montre là le caractère de plénitude et de gaieté de sa peinture, a priori à mille lieues de celle de Frida Kahlo. Toutes deux sont cependant animés par la même puissance de vie, celle-là même qui les unit l’un à l’autre.

Retrouvez dans l’Encyclo : Frida Kahlo

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