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Anne d’Autriche par Rubens : le modèle et la liberté

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Publié le , mis à jour le
L’exposition L’Europe de Rubens au Louvre-Lens (à voir jusqu’au 23 septembre) replace l’œuvre du grand peintre flamand dans son époque, et a le mérite d’éclaircir une période complexe, où les mouvements artistiques se succèdent au gré des migrations des artistes d’une grande cour européenne à l’autre. Le portrait d’Anne d’Autriche par Rubens reflète cet état de soumission de l’art au politique. Analyse d’une œuvre plus subtile qu’il n’y paraît.

Pierre-Paul Rubens, Portrait d’Anne d’Autriche, 1622, Madrid, musée du Prado.

Le modèle

Rubens peint Anne d’Autriche âgée de vingt-et-un ans. La jeune femme est déjà reine de France depuis sept ans. Fille aînée du roi et de la reine d’Espagne, elle a grandi au palais de l’Alcazar, à Madrid, où elle a reçu une éducation religieuse stricte et a pris soin de ses frères et sœurs plus jeunes. Dès l’âge de dix ans, elle est fiancée au futur roi de France Louis XIII, fils d’Henri IV et de Marie de Médicis, et se marie à quatorze ans. Espagnole à la cour de France, elle y amène ses dames de compagnie qui ne parlent que sa langue, et ne s’intègre que très tardivement, peu proche de son époux, dominé par sa mère.

Anne d’Autriche fait plusieurs fausses couches (notamment une survenue l’année de réalisation du portrait par Rubens) qui lui valent la colère de Louis XIII, et ne donne naissance au futur Louis XIV qu’en 1638, à l’âge de trente-sept ans. Régente à partir de 1643, elle meurt d’un cancer du sein en 1666, adulée par son fils, qu’elle a élevé pour devenir le Roi-Soleil que l’on sait.

Pierre-Paul Rubens,  Portrait d’Anne d’Autriche, détail, 1622, Madrid, musée du Prado.

Le contexte

En 1622, Rubens est le peintre officiel de la cour de l’infante Isabelle d’Espagne à Anvers. Âgé de 44 ans, il est alors à la tête d’un grand atelier, et est le portraitiste favori des monarques européens. Anobli par le roi d’Espagne Philippe IV et fait chevalier par le roi d’Angleterre Charles Ier, il est également diplomate, et joue un rôle en tant que négociateur secret dans le conflit qui oppose l’Espagne et l’Angleterre.

Le portrait d’Anne d’Autriche a été peint au Louvre, pendant le séjour de l’artiste à Paris, qui de 1622 à 1625 est occupé à la décoration de la Galerie Médicis au Palais du Luxembourg, cycle décoratif aujourd’hui conservé au Louvre et consacré à la vie de Marie de Médicis, dont Rubens peint le portrait cette même année 1622. Le peintre garda la toile dans son atelier jusqu’à sa mort, puis elle fut acquise par le frère d’Anne d’Autriche, Philippe IV d’Espagne. Elle est conservée au musée du Prado, à Madrid, après avoir fait partie des collections royales espagnoles.

Anne d’Autriche a été peinte par divers artistes, notamment les Français Philippe de Champaigne (en régente, en compagnie de ses deux fils faisant une offrande à la Vierge, en 1643) et Laurent de la Hyre (en allégorie), et une nouvelle fois par Rubens en 1625, dans un portrait moins sévère.

La peinture

Le visage et les mains à la carnation transparente, teintée de rose et de bleu, sont typiques de l’art de Rubens, tout comme l’œil légèrement humide, les doigts effilés, la légèreté de la chevelure déjà grise et le soyeux des étoffes. Des touches de lumière viennent égayer ce portrait sombre, dominé par la grande robe noire de la reine, et affleurent sur des éléments convexes qui se répondent : yeux, perles, reliefs sculptés.

Le visage d’Anne est peu souriant, son costume sombre rappelle la rigueur qui la caractérise et, peut-être, la perte de son enfant. La jeune reine commence alors à peine à se familiariser avec les mœurs moins rigoureux de la cour française, et adopte depuis peu un timide décolleté, elle dont le vêtement traditionnel espagnol ne laissait jusqu’alors voir aucune surface de peau, hormis les mains et le visage.

Pierre-Paul Rubens,  Portrait d’Anne d’Autriche, détail, 1622, Madrid, musée du Prado.

Malgré sa teinte sombre, le costume, qui occupe les trois quarts de la surface de la toile, est d’une richesse éblouissante et ne « noie » pas trop le modèle : la dentelle qui borde les manches et la fraise qui entoure la tête mettent en valeur la délicatesse de sa peau, tandis que rubans, nœuds, perles et surpiqûres créent un jeu de reliefs qui permettent au peintre de déployer toute la gamme des noirs, gris et blancs.

Peint au Louvre où sont établies Anne d’Autriche et sa suite, dans le Salon des Caryatides couvert d’or, le tableau montre un décor qui dit la magnificence de la cour de France. La reine est placée sous une grande draperie bleu roi portant la fleur de lys, symbole de la famille royale des Bourbon. Le drapé ravive par son mouvement baroque et son coloris acidulé l’aspect empesé de l’ensemble, tout comme les doigts exagérément allongés qui apportent un élément de bizarrerie, hérité du maniérisme.

Ainsi, même dans le cadre d’une commande officielle d’une si haute importance – ce type de portrait officiel était amené à être exposé, reproduit et diffusé dans toute l’Europe comme un véritable support de communication institutionnelle –, Rubens parvient à rendre sensible la psychologie d’un être engoncé dans son rôle politique, et à montrer sa liberté d’artiste.

Retrouvez dans l’Encyclo : Rubens

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