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Couleurs : la méthode Signac fonctionne-t-elle ?

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Publié le , mis à jour le

Inaugurant le festival Normandie impressionniste, l’exposition Signac. Les couleurs de l’eau au musée des impressionnismes de Giverny (avant le musée Fabre de Montpellier cet été) analyse l’art du peintre pointilliste comme ordonnateur de paysages aquatiques. Prétexte pour nous à expérimenter sa théorie de la couleur – et à vérifier si elle fonctionne. 

Détail de Mouillage de la Giudecca (Venise), 1904, de Paul Signac, Munich, Neue Pinakothek.

Étudiante en histoire de l’art, on a lu D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, ouvrage publié en 1899 par Paul Signac, sans vraiment bien comprendre au premier abord ce qui réunissait la peinture du chef de file de l’école romantique française, et celle du cercle très restreint des artistes unis autour de Georges Seurat et de sa technique divisionniste. Certes on connaît le talent de coloriste de Delacroix – qui l’opposait alors aux tenants de la ligne, comme Ingres –, mais l’invocation du grand aïeul fut surtout une manière pour Signac de justifier l’étude de la couleur comme le « sujet du siècle » pour les peintres.

Siècle du rationalisme et du positivisme où les artistes s’acoquinèrent avec les scientifiques pour mettre au point des théories, comme celle-ci, fondée sur les travaux de diverses personnalités : Charles Henry, auteur du Cercle chromatique, Charles Blanc et son étude des couleurs complémentaires, le chimiste Michel-Eugène Chevreul et sa Loi du contraste simultané, ou encore Ogden N. Rood, auteur d’une Théorie scientifique des couleurs. Ces sujets sont alors très à la mode chez les physiciens de l’optique, et captivent aussi Georges Seurat, qui fonde sa peinture sur l’intensité de la sensation lumineuse que procurent les couleurs juxtaposées, et l’effet psychologique qui en résulte – ce qu’il nomme « chromoluminarisme ». Une association entre artistes et scientifiques, et surtout une rigidité théorique qui ne sont pas du goût de tous, notamment de Camille Pissarro, qui se joint un temps au mouvement avant de claquer la porte pour recouvrer sa liberté.

Paul Signac, Soleil couchant, pêche à la sardine, Opus 221 (Adagio) de la série La Mer, les barques, Concarneau, 1891, New York, The Museum of Modern Art.

Seurat disparaît en 1891, après avoir peint seulement une dizaine d’œuvres. Signac reprend alors le flambeau et se lance dans l’exposé simplifié de sa théorie, se défendant d’être « esclave de la science ». S’il y a chez Seurat une certaine radicalité – l’artiste mettait plusieurs mois à peindre une toile –, Signac adapte les lois de la couleur à sa peinture, plus qu’il ne les applique de manière stricte. Ainsi le principe selon lequel « deux couleurs juxtaposées ou superposées formeront une troisième couleur que nos regards percevront à distance sans que le peintre l’ait prononcée », celui qui affirme que deux couleurs se « contaminent », ou que les couleurs mélangées produisent de la lumière, ne se vérifient que rarement si l’on observe sa peinture.

Car même lorsque l’on se met à une distance normale de la toile, le mélange optique ne fonctionne pas vraiment : les touches individuelles de couleur restent visibles, comme dans une mosaïque antique – constat qui est quasi tabou chez les historiens de l’art de la période… On le voit très bien dans ce Soleil couchant de Concarneau, où vert, bleu et jaune se côtoient mais ne s’épousent pas. L’effet produit n’est pas un ton unitaire, mais une sensation de vibration de la surface – qui, certes, sied particulièrement bien au motif de l’eau et à ses reflets. Effet que l’on trouve déjà chez les impressionnistes comme Monet et Sisley, mais dans une pâte plus large et des tons moins vifs. Avec le temps (et le contact avec la brûlante lumière méditerranéenne), Signac lui-même va se détacher de cette technique, élargissant et espaçant sa touche, défaisant la couleur et la réalité pour aller vers la liberté fauviste, tout en dessinant des compositions plus mesurées.

Ironie de l’histoire : la théorie néo-impressionniste est un contresens scientifique, mais elle eût une grande influence, en tant qu’utopie d’une union réussie entre art et science, sur des peintres comme Kandinsky ou Mondrian. Qui eurent tôt fait de s’en libérer pour créer leur propre style… et leurs propres théories.

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