Article proposé par Exponaute

Du Caravage au caravagisme, une peinture qui “transcende les nationalités”

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Publié le , mis à jour le

Le musée des Augustins de Toulouse et le musée Fabre de Montpellier (associés à deux musées américains, le Los Angeles County Museum et le Wadsworth Atheneum Museum of Art de Hartford) unissent leurs forces pour proposer cet été non pas une, mais deux expositions consacrées au caravagisme : Corps et ombres revisite ce mouvement artistique européen qui a submergé l’Europe au XVIIe siècle sous l’influence d’un seul grand artiste, Michelangelo Merisi, dit Caravage.

C’est quoi, exactement, le caravagisme ? Nous avons posé la question à Axel Hémery, directeur des Augustins de Toulouse, l’un des deux commissaires de l’exposition avec Michel Hilaire, directeur du musée Fabre de Montpellier.

Michelangelo Merisi, dit Caravage, Le Sacrifice d’Isaac, vers 1603, Florence, Galerie des Offices © 2011. Photo SCALA, Florence – courtesy of the Ministero per i Beni e le Attività Culturali.

[exponaute] Pourquoi faire deux expositions, l’une à Montpellier, l’autre à Toulouse, sur Caravage et le caravagisme ?

[Axel Hémery] Il n’y a jamais eu de grande exposition en France sur le caravagisme. De plus, la recherche scientifique sur ce sujet a été très riche ces dernières années – même si nous avons fait le choix de deux expositions « grand public ». Toulouse et Montpellier sont deux grandes capitales du Languedoc, assez proches géographiquement et culturellement. Nous n’avons pas opté pour une exposition itinérante, car nous savions que nous allions atteindre les mêmes publics… Avec Michel Hilaire, nous avons préféré unifier nos forces, et additionner les espaces pour accueillir un total de 133 œuvres, et offrir la vision la plus complète possible. Ensuite nous avons divisé le caravagisme en deux aires géographiques, en se basant sur les particularités de nos collections respectives – le caravagisme du Nord à Toulouse, celui du Sud à Montpellier : les expositions doivent toujours être en cohérence avec l’histoire du musée.

Comment distingueriez-vous ces deux formes picturales nées de l’inspiration d’un seul et même artiste ?

Le caravagisme est international, il transcende les nationalités. Celui du Nord, notamment de l’Ecole d’Utrecht et des Hollandais, c’est la tradition du détail, le paysage, l’anecdote, mais aussi la violence et le pathétique issus du grand maître italien. Les peintres du Nord reprennent les fondamentaux de l’art de Caravage, tandis que dans le Sud de l’Europe (France, Espagne, Italie), chaque région, voire chaque artiste va en présenter une particularité, comme par exemple Georges de La Tour en France. Mais il faut rester prudent, car de nombreuses attributions restent encore problématiques, et nous n’avons pas voulu encombrer la compréhension du public avec ces questions de spécialistes.

Georges de La Tour, Le Tricheur à l’as de carreau, second quart du XVIIe siècle, Paris, musée du Louvre © RMN / Gérard Blot.

Le grand public va cependant faire quelques découvertes, comme par exemple celle du peintre hollandais Matthias Stom, mais aussi (re)voir des œuvres connues, comme La Fuite en Egypte de Rembrandt, du musée des Beaux-Arts de Tours.

Matthias Stom est un peintre bien connu des historiens de l’art de cette période, mais pas du public. Sa vie, ses dates de naissance et de décès, restent inconnues, comme le détail de ses voyages. Pourtant c’est un grand coloriste, auteur de grandes compositions solennelles, qui fait le pont entre la Hollande et l’Italie. En ce qui concerne Rembrandt, il n’y a pas de relation directe avec Caravage – une exposition Rembrandt-Caravage a eu lieu en 2006 au Van Gogh Museum d’Amsterdam, mais elle n’était pas convaincante… Rembrandt n’est jamais allé en Italie – mais c’est un fin connaisseur de peinture italienne : il a pu voir des toiles de Caravage dans des collections d’Amsterdam, observer les déformations typiquement caravagesques des peintres d’Utrecht, ou les toiles de l’Allemand Adam Elsheimer réalisées à Rome. Ainsi dans La Fuite en Egypte, le peintre expérimente un clair-obscur violent, comme dans le œuvres de jeunesse de Caravage.

Il n’y a pas de toiles de Caravage exposées à Toulouse, alors qu’on peut en voir neuf à Montpellier. Ne pensez-vous pas que le public toulousain pourrait être déçu ?

Nous avons fait le choix de ne pas diviser la section des Caravage. Il aurait été fâcheux de ruiner la puissance globale de la salle qui lui est consacrée à Montpellier en lui ôtant certaines œuvres pour les montrer à Toulouse… Par ailleurs, il faut saluer le travail réalisé par le musée Fabre et son directeur Michel Hilaire, qui ont réussi à obtenir de superbes prêts, comme le Jeune Garçon mordu par un lézard de la Fondation Roberto Lunghi à Florence, Le Sacrifice d’Isaac des Offices (ill.), ou Le Reniement de saint Pierre du Metropolitan Museum de New York…

Quelles ont été les réactions, parmi les spécialistes de Caravage, au sujet de la soi-disant découverte de cent dessins du maître à Milan ?

Je suis sceptique. Les deux chercheurs ne sont pas des spécialistes de l’artiste, ils n’ont pas travaillé récemment sur ce fonds, celui de son maître, Simone Peterzano. Ils évoquent une « prémonition » dans les formes visibles sur les dessins, qui « annonceraient » celles des toiles… Mais leur méthode n’est pas sérieuse, pas valable. De plus, je réprouve ce sensationnalisme, et le fait qu’ils vendent leur découverte [mardi 10 juillet, le site Amazon a retiré de la vente les ebooks dans lesquels Maurizio Bernardelli Curuz et Adriana Conconi Fedrigolli révélaient, moyennant paiement, le contenu de leur « découverte », ndlr]. Cela étant, je ne nie pas en bloc la possibilité d’une grande découverte. Cela arrive, comme lorsque Gianni Papi avait découvert 60 toiles de jeunesse de Ribera. Mais lui n’en avait pas fait  un commerce ni tout ce battage médiatique…

 Propos recueillis par Magali Lesauvage.

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